D'une Berge à l'Autre : Raphaël / 39

Publié le par Marie A

D'une Berge à l'Autre : Raphaël / 39

- Hein ? Quoi ? Penser quoi ? De quoi ?

L'expression ahurie de Yolande était exactement celle que Raphaël espérait provoquer en la traînant à cet endroit sans explication. Il aimait ménager ce genre de surprise, mettre ses copains devant le fait accompli et s'amuser de leur réaction. Et son plaisir fut encore plus grand en voyant les yeux ronds qui le fixèrent soudain…

- Ben, la maison.

D'un mouvement de tête, il désigna la bâtisse qui se trouvait dans son dos, tout en observant la réaction de Yolande devant la propriété s'élevant dans la pénombre.

- Ben, c'est une maison…

- Ouais, ben ça je sais ! répliqua-t-il, déçu de son manque d'entrain. Ce que je te demande, c'est ce que tu en penses. Elle te plaît ?

Il espérait une remarque enthousiaste, des étoiles dans son regard ou au moins un semblant de sourire… n'importe quoi sauf ce ton d'incompréhension teintée de dérision qu'elle utilisa pour lui répondre.

- Oui, elle est belle. Mais je ne vois pas pourquoi c'était si important de me la montrer en pleine nuit.

Au moins elle ne la trouvait pas moche, ce qui était encourageant. Car il était vrai qu'elle aurait pu être rebutée par la façade décrépie, par les volets tombant en ruine, par la rampe en fer forgé déscellée de l'escalier extérieur…

- Si je l'achète, tu viens y habiter avec moi ?...

L'idée lui était venue lors de sa tournée, quelques semaines plus tôt, en parlant avec le propriétaire. Celui-ci se lamentait de ne plus avoir les moyens d'entretenir la bâtisse, de ne pas trouver de locataires stables pour le trois-pièces/cuisine de l'étage, ou alors d'avoir affaire à des insolvables qui laissaient l'appartement dans un état lamentable après à peine quelques mois.

Comme un an plus tôt devant le distributeur de billets, son cœur, son âme, ses tripes ne lui avaient laissé aucun doute : cette maison devait être la sienne. Elle lui faisait penser à Yolande : chaleureuse, rassurante, protectrice… le seul endroit où il pourrait trouver la sérénité et la sécurité… et planter ses racines.

- … Oh t'inquiète, je te demande pas en mariage !…

Subitement, l'expression horrifiée de sa compagne lui rappela sa propre réaction à l'hôpital, lorsqu'elle lui avait parlé de leur relation particulière. La différence notable était qu'elle au moins avait des raisons de craindre une folie de plus, après toutes celles qu'il avait faites durant l'année précédente...

- ...Mais je te jure que je vais devenir frappadingue si je reste dans mon appart tout seul…

Il fallait avoir tourné pendant des heures au milieu de la nuit dans ces pièces trop grandes et trop vides pour comprendre à quel point le silence et la solitude étaient insoutenables. Et Yolande ne pouvait pas se représenter le mal que ça faisait. Elle avait l'inestimable capacité de considérer chaque épreuve d'une façon positive… Comment pourrait-elle imaginer le tourment qui était le sien chaque jour depuis qu'il était parti de chez elle ?

Le mieux était d'arrêter de se plaindre, et de partager cette image qui le hantait depuis que le banquier lui avait donné le feu vert.

- … Cette baraque, je la connais bien, commença-t-il en réprimant de son mieux son impatience. En fait, je devrais plutôt dire que je connais toutes ses cheminées. On dirait pas en la voyant comme ça, mais il y a deux appartements : un grand en bas, et un plus petit à l'étage. C'est pour ça, je me disais… Vous pourriez prendre le rez de chaussée, et j'aurais le haut pour moi. Comme ça, on serait tout près, et on n'aurait pas besoin de traverser la rue pour passer un moment ensemble…

Ainsi, elle serait à portée de voix quoi qu'il arrive. Au lieu de passer des heures à sa fenêtre de cuisine dans le but de l'apercevoir, il n'aurait qu'à descendre quelques marches pour participer à la vie de famille… Et les commères du quartier n'auraient plus l'occasion de se planter derrière leurs rideau à chaque fois qu'il pénétrerait dans son immeuble…

- Ce serait magnifique, Raph, murmura-t-elle avec tant de regrets dans la voix que Raphaël sentit une boule d'appréhension se former dans sa gorge dans l'attente de ses protestations inévitables. Mais c'est irréalisable. Je n'ai même pas 1000.- à investir.

- Mais ma parole, t'as rien écouté de ce que je t'ai raconté !...

Comme souvent, l'agressivité fit office de soupape de sécurité pour éliminer l'angoisse qui avait déjà commencé à étreindre sa poitrine. Il n'en fut pas vraiment fier, au moment où Yolande se ratatina sur elle-même pour affronter l'orage.

- … Je t'ai pas traînée ici pour parler investissement, continua-t-il avec plus de véhémence qu'il ne l'aurait voulu. Je t'ai dit que depuis que Jean-Phi m'a remis les pendules à l'heure, j'ai développé un léger côté écureuil !

- Mais alors, pourquoi me déranger à une heure du matin pour m'amener ici, si c'est pas pour que je me mette avec toi ?

Elle ne comprenait rien, et cela l'énerva sérieusement. Il croyait pourtant s'être montré totalement transparent devant elle depuis des mois ! En réfléchissant un petit peu, elle aurait dû être capable de deviner son intention… En d'autres occasions, elle avait prouvé qu'elle pouvait lire en lui comme jamais personne ne l'avait fait… Mais non, là elle jouait les idiotes, comme si elle voulait l'entendre tout expliquer, même le plus intime.

- Parce qu'elle ne m'intéresse pas si t'as pas envie de déménager. Parce qu'une baraque ne me sert à rien si c'est pour me retrouver comme un con dans toutes ces pièces vides ! Moi ce que je veux, c'est une maison comme dans les films, un de ces nids où plein de monde se retrouve pour les fêtes et les vacances, avec un jardin où on dresse de longues tables avec des nappes blanches et la vaisselle du dimanche…

Puisqu'il le fallait, il l'avait fait. Il s'était totalement mis à nu. Si ridicule avec ses images de happy end de films d'après-midis… Il n'avait plus qu'à attendre la réaction de Yolande, son petit rire moqueur ou son regard empli de pitié. Et évidemment, elle arriva avec tout autre chose. Une chaleur qui lui brûla l'avant-bras lorsqu'elle posa sa main, un soupir empli de tristesse… et une phrase lourde de sens.

- Tu sais… avec moi ta tablée ne sera pas bien grande.

Il y avait tant de regrets dans cette phrase, Raphaël réalisa qu'il n'était pas le seul à envier ces scènes de bonheur tout simple…

- Mais moi j'ai plein de copains ! Et Cédrine aura des gamins un jour ! Moi aussi, j'espère bien me marier une fois et avoir toute une ribambelle de gosses… Et ne t'en fais pas, toi aussi tu vas finir par trouver un mec bien qui sera content d'être notre…

Subitement, l'énormité de ses paroles lui ferma le clapet. Il avait voulu lui remonter le moral, et comme d'habitude il était allé trop loin. Mais quelle idée avait-il eue de revenir à la charge avec son délire ! Et en plus, en quoi cette ouverture d'esprit concernant son cas serait un critère dans le choix d'un partenaire pour Yolande ?…

- … Qui sera comme toi et qui se foutra de mes idées grotesques, conclut-il pourtant presque malgré lui.

Cette fois il avait vraiment atteint le sommet du ridicule, et il détourna la tête pour ne pas voir cette horripilante compassion animer le regard de Yolande.

- Oh Raphaël, reprocha-t-elle doucement. La seule chose absurde que tu viens de dire, c'est qu'un homme voudra un jour partager sa vie avec moi… Mais pour le reste, tu arrêterais tout de suite de penser des horreurs pareilles, si tu avais la moindre idée du bonheur que tu m'as apporté, justement avec tes idées grotesques…

Il n'y avait aucune trace d'ironie dans sa déclaration. Elle paraissait sincère, mais Raphaël n'était pas prêt à entendre l'impact qu'il avait eu sur la vie de son amie. Il avait déjà assez de peine à gérer ce qu'elle lui apportait…

- Bref, on est pas là pour se pleurer dans le gilet, interrompit-il franchement embarrassé. Alors, cette baraque, je l'achète ou pas ?

- Euh, ben je ne sais pas… Il faut que j'en parle à Cédrine…

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J
Le bonheur est à portée de main, Yolande !
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M
Oh, mais elle te répondrait qu'il est déjà là !
M
Je pense que Yolande ne comprend pas que Raphaël souffre de solitude. Elle le voit toujours pavoiser avec ses amis, donc elle pense qu'il n'a pas besoin d'elle.<br /> <br /> Là, je pense que Raphaël a été suffisamment clair maintenant ;-)<br /> <br /> Reste à savoir si Cédrine...
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M
Fine analyse, comme toujours ! <br /> Quant à Cédrine... avec une jeune fille aussi impulsive, je ne me risquerais pas à un pronostique :-D