D'une Berge à l'Autre : Raphaël / 9
Il fallut du temps à Raphaël pour réaliser que Cédrine avait subi le même sort que lui. Que lassée des conflits, Elle s'était débarrassée de sa gamine. Évidemment, Elle n'avait pu la jeter comme un détritus, mais le fait était que la petite n'était plus dans le quartier.
Cet abandon fut celui de trop. Durant près de 28 ans, il s'était accusé de tous les maux pour expliquer le rejet dont il avait été victime. Il avait refusé l'idée même qu'Elle ait pu simplement décréter que sa vie ne valait pas de s'encombrer d'un nourrisson braillard. Il s'en était convaincu... et voilà qu'une nouvelle fois, ses certitudes étaient écrasées, piétinées sans vergogne. L’image de l’icône immaculée qu’il avait réussi à préserver coûte que coûte n'était qu’un mirage, un fantasme illusoire !
Le dégoût s'empara de lui, ressuscita ce sentiment de haine et de révolte qui l’avait accompagné durant son adolescence. Seul un reste de raison lui permit de ne pas succomber à la tentation de s'en prendre physiquement à Elle, de traverser la rue pour lui dire en face, et brutalement, sa façon de penser....
Toutefois, il devait lui signaler à quel point il la méprisait. Et quoi de plus percutant qu'une lettre bien sentie ? Une belle lettre anonyme qui lui ferait un peu peur...
Il avait pour cela le support idéal. Cette carte postale dénichée exprès pour Elle durant sa période *messages personnels*... Cette photo du centre scolaire où Elle s'était débarrassée de lui. Avec mille précautions, il sortit de ses papiers importants la première preuve de son existence, ce qui constituait son acte de naissance : l'article de journal relatant sa découverte.
Une fois le texte agrandi et photocopié, il saisit une paire de ciseaux et découpa une à une les lettres de son message, pour les coller sur le verso de la carte.
« Des monstres comme toi devraient jamais avoir d'enfants ».
S'il avait un jour pu imaginer le soulagement ressenti en *écrivant* cette simple phrase, Raphaël aurait agi beaucoup plus tôt ! En relisant ces quelques mots recomposés, il eut l'impression de sentir un poids s'enlever de sa poitrine. Exprimer ainsi, pour la première fois, ce qu'il ne s'était même jamais autorisé à penser lui fit du bien, et apaisa sa colère.
Néanmoins il alla jusqu'au bout. Au milieu de la nuit, il déposa sa missive dans une boîte aux lettres du quartier avec tout le cérémonial adapté à la situation. Savoir ce qu'Elle en ferait n'était plus sa préoccupation.
Il avait fait son devoir, et pouvait désormais tourner la page.
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