Au Rendez-Vous... : Aimée 5/2

Publié le par Marie A

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Mais les Robert étaient des éleveurs, dont l’unique revenu provenait de la vente de leur bétail. Et par un malheureux caprice du destin, Henri Jaquet était l’héritier désigné de *l’affaire* de son grand-père, un maquignon bien connu de la région.

Ce fut en tant que tel qu’il se présenta à la porte de la maison, ce funeste après-midi du début du mois de septembre.

Pourquoi ? Oh pourquoi avait-il fallu que Monsieur Gilbert et Walter aient dû descendre au village justement cet après-midi là ? Pourquoi Madame Justine en était-elle au septième mois de sa quatrième grossesse, faisant ainsi d’Aimée la seule, du moins la plus apte, à accompagner Henri dans les pâturages pour aller chercher la vache achetée une semaine auparavant par le dénommé *Babert* ?

Étrangement, avant même qu’il ne frappe à la porte de la cuisine, l’instinct d’Aimée la prévint d’un danger. Sans bien savoir pourquoi, en entendant des pas dans le corridor elle éprouva un subit besoin de se cacher, de quitter la pièce pour s’éloigner du visiteur...

Mais elle ne parvint jamais à la remise. A son corps défendant, en entendant la voix grave lancer un « Bonjour Mesdames. Le patron est par là ? », elle se sentit défaillir et ne put faire autrement que de se retourner.

Tant que Madame Justine se trouva à ses côtés, elle eut encore la force de se raisonner, de faire taire cette petite voix qui lui faisait remarquer qu’Henri était le plus bel homme qu’elle ait jamais vu, malgré ses habits sales, sa casquette trouée et sa barbe d’une semaine. A force de volonté, elle put détourner son regard de ses mains... Mais Seigneur, qu’elle avait envie de les sentir sur son corps !

Elle lutta ! Oh oui, le Ciel fut témoin qu’elle combattit désespérément la violence de ses sentiments, le réveil de ce démon tapi en elle, qui lui susurrait à l’oreille de dégrafer son corsage, de battre des cils et d’embrasser les lèvres entrouvertes dans un sourire effronté. Comment Madame Justine ne remarqua-t-elle pas le trouble qui s’empara d’Aimée, le rouge qui teinta soudain ses joues, sa respiration haletante ? Elle, qui était si prude, si pointilleuse lorsqu’il s’agissait de la bienséance et de la fidélité, pourquoi ne comprit-elle pas les signaux de détresse envoyés par son employée, son regard apeuré lorsqu’elle reçut l’ordre d’accompagner Henri, ni son peu d’empressement à enfiler son manteau de pluie ?

Si au moins le soleil avait brillé, elle aurait pu emmener Roger et André, et s’en servir comme d’un bouclier contre sa propre faiblesse. Mais le temps était exécrable, ce qui avait contraint le bétail à se réfugier dans un sous-bois, à des centaines de mètres de la maison. Aimée dut donc se résigner à suivre le jeune homme en silence, l’esprit concentré sur le visage horrifié de sœur Bénédicte si d’aventure elle venait à avoir connaissance des désirs inavouables qui animaient les pensées de sa fille.

« Ne nous soumet pas à la tentation... Ne mesoumets pas à la tentation ! »

Machinalement, tout en marchant derrière son compagnon, elle répéta, comme un rituel d’exorcisme, cette phrase dont elle venait de découvrir le sens.

Et soudain, au moment où elle se sentit soulagée, où ses prières désespérées recevaient une réponse, et où son désir s’atténua, la pauvre jeune femme se retrouva plaquée contre un sapin, le corps écrasé par celui d’Henri.

Totalement paniquée, non pas par cette attaque surprise mais surtout par la réaction de son propre corps, à l’intérieur duquel elle sentit monter un désir difficilement contrôlable, elle détourna la tête pour échapper aux lèvres qui s’approchaient dangereusement des siennes. Tremblante de désir et de peur, elle ne réussit qu'à protester faiblement alors que de ses deux mains, son assaillant immobilisait son visage.

Dès l’instant où leurs lèvres s’unirent, elle sut qu’elle était perdue !

Mais avec un sursaut de volonté désespéré, elle réussit à se libérer de son emprise, à mordre la lèvre pourtant si douce, si fruitée, et à gifler de toutes ses forces cette joue qu’elle aurait tant voulu caresser.

Ce fut là son dernier geste dicté par la raison. Dès lors, le démon fut le plus fort. Avant même qu’Henri ait eu le temps de réagir, elle l’attira à nouveau contre elle, et cette fois, ce fut elle qui embrasa son camarade par un baiser ardent. Uniquement poussée par ses sens, elle laissa éclater cette passion bridée par 23 ans de protestantisme puritain.

Il fallait qu’il l’embrasse, qu’il aspire son âme ! Elle voulait le sentir contre elle, respirer son odeur, enlever tous ces vêtements qui dressaient une barrière entre leurs deux peaux...

Quelque part au plus profond de son esprit, un soupçon de raison lui rappela que ce qu’elle faisait était mal, que sa mère avait eu raison de vouloir la protéger en la destinant à la vie religieuse, qu’elle était en train de donner son âme au diable... mais elle ne voulut pas écouter sa conscience ! Plus rien ne comptait : son salut, la réprobation générale, la Colère Divine, Walter, tout cela n’existait plus, mis à part le moment présent, son cœur battant la chamade, et cette sensation de perdre l’équilibre, de s’enfoncer dans un nuage de coton... Elle aurait tant aimé que cette étreinte ne cesse jamais, que le monde s’écroule, et qu’elle reste ainsi enlacée à Henri pour l’éternité !

Mais le jeune homme, le premier, demanda grâce devant l’avidité dont fit preuve Aimée. Avec un gémissement, il s’écarta, et s’éloigna de quelques pas chancelants, en passant la main dans ses cheveux avec une expression étourdie.

- Aimée, qu’est-ce qu’on vient de faire ?

Étrangement, cet homme que la vindicte populaire avait paré de tous les défauts de la terre, semblait réellement rongé par le remords. Le visage défait par un sentiment de culpabilité sincère, il s’approcha à nouveau de la jeune femme pour refermer le dernier bouton de sa veste avec des gestes experts.

- Excuse-moi, ma Perle, il fallait pas que ça se passe comme ça ! J’avais pas le droit... S’il te plaît, pardonne-moi...

Si le sol avait été sec, remarqua Aimée avec un brin d’amusement, il n’aurait pas hésité à tomber à genoux ! Mais parce qu’il manifestait un réel repentir, parce que ses yeux gris-vert s’étaient assombris, et surtout que ses grandes mains calleuses s’étaient refermées sur les siennes comme sur un diamant, elle n’eut aucune envie de sourire. Au contraire, cette vulnérabilité dont il fit preuve soudain la toucha, la déstabilisa, fit monter en elle une douce chaleur, une émotion telle qu’une larme perla à ses paupières. Et ce qui n’était jusqu’alors qu’une *simple* attirance physique, se transforma en intérêt profond pour la personnalité cachée sous ces allures frondeuses, insolentes et superficielles...

- Ma Perle, je t’en supplie, m’en veux pas. Tu es si belle, si rayonnante... J’ai pas pu résister.

« Mais voyons, Henri, comment peux-tu me demander de te pardonner d’avoir fait ce que j’attendais depuis la première seconde où je t’ai vu ? »

Si ces mots rassurant résonnèrent à son esprit, elle ne les prononça pas. A quoi bon dialoguer, alors qu’un nouveau baiser, cette fois tendre et doux, pouvait le rassurer avec plus d’efficacité ?

- Attends... Non, il faut pas ! protesta soudain Henri, en se soustrayant à cette étreinte. J’crois qu’il vaudrait mieux aller chercher la bête. C’est laquelle, la Joyeuse ?

Subitement, en se retrouvant seule, frustrée, abandonnée avec son besoin de contact, avec cette envie d’étreinte, elle eut envie de hurler. Frigorifiée, autant à cause de la température fraîche que du vide qu’elle sentait au creux de son estomac, elle n’eut que la force de gémir en refermant ses bras sur le vide, alors que son cœur hurlait au secours, et que son esprit n’était qu’un énorme « Pourquoi ? ».

Mais il fallut bien qu’elle se bouge, qu’elle retrouve sa volonté, et qu’elle redevienne Aimée, la jeune fiancée de Walter et l’employée de Gilbert Robert, pour aller séparer la vache du reste du troupeau, et la diriger jusqu’à la ferme.

Le retour se fit en silence, chacun restant plongé dans ses pensées, ruminant le petit *incident* qui les avait rapprochés.

- Monsieur Jaquet... Henri... Ce qu’on a fait tout à l’heure... Vous pouvez recommencer quand vous voudrez.

Oh, pourquoi n’avait-elle pu se retenir ? Quel sort l’avait donc envoûtée pour qu’elle ose ainsi littéralement se jeter dans les bras de cet inconnu ?

« Le pire, songea-t-elle soudain, c’est que je n’ai même pas honte de ma conduite ! »

Ils étaient pourtant à quelques mètres de la maison. N’importe qui aurait pu les entendre... Ce qui n’empêcha pas le maquignon de murmurer en décrochant un regard équivoque à sa compagne :

- Jeudi. Même heure. À la Source...

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J
<br /> <br /> Et ce qui devait arriver arriva !<br /> <br /> <br /> Vivement la suite !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Un peu téléphoné, c'est vrai... mais attendez la suite très cher <br /> <br /> <br /> <br />