Au Rendez-Vous... : Aimée 5/4

Publié le par Marie A

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La rédaction de la lettre destinée à sa mère fut une épreuve terrible pour Aimée, tant elle savait que par quelques mots, elle briserait non seulement un rêve, mais surtout un cœur.

Comment exprimer l’innommable à cette âme pure qui voyait la main du Tout Puissant dans toutes choses ? Comment lui expliquer que sa propre fille avait succombé au démon, et se complaisait dans le péché ? Comment lui faire comprendre, sans tomber dans le blasphème, qu’Henri lui apportait tout ce que Betty trouvait dans la prière ?

Mais elle devait le faire. Elle devait demander pardon pour sa faiblesse pourtant inexcusable. Et surtout quêter une bénédiction improbable, ou tout au moins un minimum de compréhension. Elle avait tant besoin d’avoir le soutien de celle qui était à ses côtés depuis le début ! Seul cet amour indulgent pouvait la tranquilliser, apaiser ses angoisses, faire disparaître ces horribles cauchemars qui hantaient ses nuits depuis l’irruption d’Henri dans sa vie.

Son avenir dépendaient de cette simple feuille de papier pliée en quatre qu’elle glissa dans l’enveloppe avec des doigts tremblants. Elle n’était pas tout à fait satisfaite du contenu de sa confession, comme d’ailleurs cela avait été le cas des 12 brouillons précédents, mais c’était le dernier jour du mois, elle ne pouvait plus retarder le moment. Elle l’avait promis à Henri, qui se montrait de plus en plus impatient, et elle voulait le contenter lorsqu’il viendrait la retrouver.

Car c’était leur Grand Jour !

Pour la première fois, profitant de l’absence de tous les adultes de la ferme, ils allaient se retrouver tous les deux seuls dans une vraie maison... dans un vrai lit ! Bien sûr, il y aurait les garçons, mais du haut de leurs 2 et 3 ans tout juste sonnés, les deux petits étaient trop jeunes pour comprendre ce qui se passait, et Roger serait à l’école...

 

Tout était parfait. La lessive terminée séchait au vent, André et Bernard jouaient tranquillement devant la maison, et Aimée se trouvait au paradis entre les bras de son amant.

Elle était dans un état second, toute entière à l’écoute de son bonheur, lorsque le hurlement retentit. Un long cri de douleur qu’elle avait déjà entendu, qui lui avait glacé le sang, ce sombre soir du 14 juin 1940...

Mais cette fois, c’était un enfant qui le poussait !

Aussitôt, redescendue brutalement sur terre, elle enfila sa robe en hâte et se précipita au secours de Bernard, dont elle avait reconnu la voix.

Elle s’attendait à trouver le petit en sang, mordu par le chien, ou couché par terre après une chute. Mais le voir ainsi, le bras pris entre les rouleaux de l’essoreuse lui causa un choc. Devant la forme anormale du petit membre, ondulants entre les cylindres de bois, Aimée se sentit défaillir.

Il fallait pourtant qu’elle bouge, qu’elle délivre le garçonnet, qu’elle trouve un moyen de desserrer l’étau. Mais il n’y avait aucune sécurité, aucun écrou, rien qui aurait pu permettre de démonter la machine, comme le constata Henri, arrivé sur ses talons.

- Allez, Aimée, arrête de paniquer, ça sert à rien, tu réussiras qu’à faire pleurer les gamins un peu plus fort, commença-t-il, en adressant un regard impatienté à André, qui se lamentait bruyamment à côté de son frère.

- Mais regarde ! Il est coincé ! Comment tu veux le sortir de là sans lui arracher le bras ?!

La jeune femme était au bord de la crise de nerfs. Terrifiée par les cris du petit, elle n’osait l’approcher, craignant de lui faire encore plus de mal.

- Il faut le faire repasser par où il est entré, il n’y a pas d’autre solution. Écoute, petit, serre les dents, ça va te faire très mal un tout petit moment. Mais après, ça ira mieux. Aimée, tiens-le pendant que je fais tourner les rouleaux en arrière.

Avec détermination, malgré les protestations désespérées de Bernard, le jeune homme réussit à dégager le membre blessé. Enfin libéré, le garçon s’écroula contre la poitrine d’une Aimée au bord de l'évanouissement en pensant à la douleur insupportable de ce tout petit bébé.

- Allez, allez, c’est fini maintenant, la machine va plus te faire bobo. Calme-toi, et après, on regardera si tu as quelque chose de cassé. Tiens, tu sais ce que j’ai au fond de ma poche ? Tu veux voir ce que j’avais pris pour tes frères et toi si vous étiez sages ?

Avec une patience, une douceur et une tendresse qu’Aimée trouva extraordinaire, le *Vaurien de la région* réussit grâce à un caramel, à tranquilliser le garçonnet et à lui faire oublier quelques secondes sa frayeur et sa douleur. Le temps pour Aimée de se ressaisir, et de retrouver assez de maîtrise pour réfléchir rationnellement.

- Ça va aller, ma Perle ? continua Henri, en levant les yeux sur sa compagne. Je peux te laisser deux minutes, j’vais aller m’occuper du plus grand, il en mène pas large non plus. T’inquiète pas, ça doit pas être trop grave. Regarde, il bouge sa main...

Il était si à l’aise, tellement maître de lui et de la situation, Aimée se sentit soudain honteuse de son comportement, si lâche et immature ! Elle croyait pourtant être forte, avoir assisté à assez d’horreurs pour ne plus perdre son sang froid comme cela avait été le cas lors de la Bataille de Richebourg. Mais non ! Malgré ses 23 ans et toute son expérience, elle n’était toujours pas capable de prendre les bonnes décisions, de réagir correctement !... Mais provoquer des catastrophes, cela, elle savait le faire… Et avec quel succès !!!

- Mon petit Bouchon ! Je suis si désolée... Pardonne-moi, mon chéri...

Totalement désemparée, elle ne sut que dire ni que faire pour calmer le nourrisson qui ne cessait d’appeler sa maman en pleurant.

Sur le moment, la perspective de l’affrontement inévitable avec ses patrons lui parut négligeable. Le plus important était ce petit corps pelotonné contre elle, qui avait tant besoin de la chaleur, de l’amour, de la force de sa mère... Mère qui n’arrivait pas, qui s’éternisait à l’enterrement d’une lointaine cousine, alors que son fils se tordait de douleur à chaque mouvement, à chaque secousse durant le court trajet jusqu’à la chambre de ménage.

- Bon, alors à nous deux maintenant. T’es bien installé sur le divan, Bébé ? Il faut que je voie si ça vaut la peine d’aller tout de suite chez le docteur... Je vais toucher ton bras, et tu me diras où ça fait le plus bobo. Tu es d’accord ?

A nouveau, comme s’il avait passé sa vie à soigner des enfants, Henri réussit presque à faire sourire le garçon, alors qu’il tâtait les os, à la recherche d’une éventuelle fracture.

- Bravo, bonhomme, t’es un grand garçon ! complimenta-t-il, après avoir terminé son examen sous des pleurs contenus et des gémissements déchirants. C'est sûr que c'est cassé au-dessus du coude, mais je crois qu’il y a pas d’urgence, on peut attendre que Madame Robert revienne, continua-t-il, en répondant à la question muette de sa compagne. Il faut juste lui faire une attelle...

- Merci, Henri. Sans toi, ça aurait été la panique, remercia celle-ci, sincèrement reconnaissante. Où est-ce que tu as appris tout ça ?

- J’étais sanitaire pendant la mob. Comme heureusement on n’a pas eu à ...

La fin de sa phrase se perdit dans le bruit de la porte d’entrée poussée par Roger qui pénétra en trombe dans la cuisine, heureux de narguer ses frères en leur annonçant qu’il était rentré en voiture avec ses parents.

Cette arrivée impromptue, l’agitation qui en résulta de même que la perspective de revoir sa mère, provoquèrent aussitôt une nouvelle crise de larmes chez Bernard. Immédiatement alertée, Madame Justine prit à peine le temps de poser son sac à main sur la table, avant de se précipita au chevet de son fils, dont le bras tuméfiées semblaient s’être dotées d’une articulation supplémentaire.

- Mon pauvre petit chéri, qu’est-ce qui t’est arrivé ? Aimée ?

Il n’y avait aucune accusation dans sa voix, juste le besoin de savoir, d’entendre la raison pour laquelle son enfant gisait sur le divan. Et ce fut pourquoi Aimée se sentit libre d’expliquer la vérité, en assumant son manque de vigilance impardonnable.

- Mais, qu’est-ce que tu avais de si important à faire pour que Bernard ait eu le temps de se... ?

Soudain, alors qu’elle berçait tendrement son enfant qu’elle avait pris sur ses genoux, son regard tomba sur la robe de son employée et tout lui devint clair. Enfin elle comprit la raison de la présence d’Henri, un pan de chemise hors du pantalon, des coutures apparentes sur la robe de la jeune femme, de l’aspect repoussant de saleté d’André, et bien sûr de cet accident épouvantable.

Elle n’émit aucun hurlement, aucune réprimande, mais une infinie tristesse, du mépris, de la déception, se marquèrent sur le visage de la maîtresse de maison alors qu’elle interrogea d’une voix blanche, toute empreinte de rage contenue.

- Non, Aimée, ne me dis pas que... Comment as-tu pu ? Moi qui croyais naïvement qu’il avait abusé de toi... Depuis combien de temps ça dure ?

- Écoutez, Madame Robert, intervint alors Henri, dans une vaine tentative de détourner les reproches sur sa personne. Elle n’y est pour rien...

- Vous me croyez donc si naïve ?! Tout le monde sait bien que vous êtes prêt à sauter sur tout ce qui bouge ! Mais elle, elle est loin d’être blanche... Aimée, j’avais si confiance en toi, comment as-tu osé ?

- Madame Justine... Je suis désolée... Le Ciel m’est témoin que...

Malheur ! Que n’avait-elle tourné sa langue dans sa bouche avant de prononcer ces quelques mots ?! Subitement, le simple fait de recourir à l’aide du Créateur sembla plus scandaleux que sa relation interdite avec l’élu de son cœur. Foudroyée par un regard noir, elle n’eut que le temps de rentrer la tête dans ses épaules avant d’affronter la réprimande scandalisée de son aînée.

- Comment oses-tu ?! As-tu donc perdu toute moralité ?! Je t’ai confié le bien le plus précieux de la maison, et tu l’as laissé. Tu l’as abandonné pour te vautrer dans la boue ! Comment peux-tu encore me regarder en face, et surtout invoquer le nom du Seigneur, sans être morte de honte ?! Et Walter ?…ça veut donc dire que tu n’as jamais cessé de mentir ? Comment peut-on encore te faire confiance et te laisser t’occuper de nos gamins, maintenant qu’on sait de quoi tu es capable ?

- Vous avez raison, ouais !!! riposta violemment Aimée, incapable d’écouter plus longtemps la liste de ses défauts. Et c’est pour ça que je vais partir. Ça fait un moment déjà que j’y pensais, de toutes façons !

Eh oui ! Sa réaction était lâche ! Mais elle étaitlâche. Et beaucoup plus qu’elle ne le craignait. Encore une fois, elle choisit la solution de facilité, elle préféra s’enfuir plutôt que d’assumer les conséquences de ses actes.

Après sa tirade, avant que Madame Justine ait le temps de réagir, elle se réfugia dans sa chambre, posa sur son lit sa petite valise en carton et commença à la remplir avec ses maigres affaires. En se forçant à ne pas réfléchir, à ne pas penser à sa mère qui ne méritait pas une telle trahison, elle dissimula sa bible au milieu de quelques mouchoirs, et recouvrit le tout par sa robe du dimanche.

Ce fut à cet instant que Monsieur Gilbert la rejoignit, visiblement aussi peiné qu’en colère. Bien sûr, il avait raison de lui en vouloir, elle avait failli perdre son fils ! Cependant elle avait si peu l’habitude de le voir reprocher quelque chose à quelqu’un, qu’elle en fut presque surprise. Mais il n’eut pas le cœur à relever son trouble. Posément, avec son calme légendaire, il tendit à son employée une photographie de la famille, prise lors de la visite d’un oncle.

- T’as proposé de partir, on va pas te retenir. C’que t’as fait aujourd’hui est grave... Bien sûr, t’as pas surveillé les garçons, mais ce qui est le pire, c’est pourquoi tu les as pas surveillés. Encore, si t’avais profité de notre absence pour coucher avec ton fiancé, on aurait pu comprendre... Mais te perdre comme ça avec un étranger ! Et quel étranger ! Henri Jaquet ! A quoi tu pensais donc ma fille ? On t’a pas assez mise en garde contre lui ? Il vaut rien, même ses parents veulent plus en entendre parler ! Il a des dettes partout, il est incapable de garder un travail !

Il ne put poursuivre son sermon. Soudain mal à l’aise, il déposa la photo sur les vêtements, sans oser lever le regard sur la jeune femme qui s’était figée, un châle entre les mains, contrariée par le portrait peu flatteur qu’il avait dressé de son amant. Car Monsieur Gilbert pouvait dire ce qu’il voulait, elle savait bien qu’Henri était un être formidable, qu’il avait un bon fond ! Il l’avait bien montré tout à l’heure avec Bernard !

- Aimée, ce qui arrive aujourd’hui est bien malheureux. Les gosses vont être tristes de plus t’avoir vers eux. Et Justine va aussi te regretter. Mais tu comprends, c’est plus possible...

Lentement, après une dernière poignée de main pleine de regrets, il regagna la porte à pas traînants, avant de se retourner une dernière fois.

 - On va descendre Bernard chez le docteur. Ça serait bien que tu sois plus là quand on reviendra. Et si tu veux un conseil, retourne chez Sœur Bénédicte, fuis Jaquet comme la peste, il t’apportera rien de bon... Adieu, Aimée. Je pensais vraiment pas que ça finirait comme ça.

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J
<br /> <br /> Épisode terrible et sans doute lourd de conséquences pour Aimée ! Je crains le pire pour la suite !<br /> <br /> <br /> Vivement la suite !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Et encore, je ne sais pas si tu peux imaginer plus tordu que ce qui va lui arriver <br /> <br /> <br /> <br />