Au Rendez-Vous... : Aimée 6/2

Publié le par Marie A

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Le lendemain de sa rencontre avec Joseph, Aimée ne se faisait donc aucune illusion concernant l’emploi du temps de son chéri. Aussi quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’à 10 heures ce soir-là, Henri pénétra presque sobre dans l’appartement, et glissa un magnifique billet neuf de 20.- à l’intérieur de son corsage.

- Tiens ma Perle. C’est pour toi...

Elle avait encore toute une grande corbeille à linge de nappes et serviettes à repasser, mais elle ne put résister aux petits baisers qui lui brûlèrent la nuque, et encore moins à la chaleur du corps de l’amour de sa vie qui s’était glissé derrière elle et l’enlaçait tendrement.

Lorsque quelques heures plus tard, elle s’éveilla éperdue de bonheur entre les bras d’Henri qui la regardait avec les mêmes yeux ardents que lors de leur premier rendez-vous, elle eut de la peine à croire à la réalité de ce qu’elle venait de vivre. Mais le billet était toujours là, témoignage vibrant du miracle qui avait eu lieu la veille.

- Ça va ma Perle ? T’as bien dormi ?

- Comme un bébé, répondit-elle en s’étirant avec paresse. Merci, mon amour...

Elle aurait voulu lui demander ce qui s’était passé pour le changer de la sorte. Mais pourquoi risquer de lui faire perdre sa bonne humeur ? Pourtant elle devait savoir...

- ... Tu as trouvé du travail ?

Elle s’y attendait ! Oui, elle savait qu’il allait se raidir, se dégager de son étreinte, et s’asseoir sur le bord du lit en lui tournant le dos ! Cependant, contrairement à sa crainte, il ne lui répondit pas avec cette froideur qui annonçait souvent le début d’une mauvaise journée. Il parla calmement, doucement, plus gêné que contrarié.

- Pas exactement. J’ai rendu un service à un copain... Qu’est-ce que t’en dis ? Si tu restais au lit, et que j’allais acheter des croissants pour le déjeuner ?

Oh oui, c’était tentant ! Mais l’argent était nécessaire pour payer la note de l'épicier... Et elle devait terminer son repassage...

- Euh, tu sais, je crois pas que ça soit raisonnable. On peut pas vraiment se le permettre... Et Madame Dubied compte sur son linge avant 8 heures... Mais par contre, un bout de pain frais, encore tout chaud...

 

Une semaine passa, puis deux, puis trois et les premiers jours de 1949 arrivèrent dans cet état de grâce.

Malgré quelques petites rechutes sans gravité, Henri semblait avoir enfin trouvé sa voie. Il se montrait toujours plus qu’évasif au sujet des circonstances de son brusque changement d’attitude, mais cela ne préoccupait pas Aimée, tant qu’il rentrait seul à des heures raisonnables, l’œil clair à défaut d’être vif... et qu’il ramenait plus d’argent qu’il n’en dépensait...

Aimée était heureuse auprès de son compagnon. Plus qu’elle n’aurait jamais pu l’espérer, qu'elle ne l'avait jamais été ! A tel point qu’elle osa recommencer à rêver, à faire des projets... Si son homme continuait ainsi, elle pourrait à terme cesser de s'user le dos à repasser... elle aurait un peu de temps pour elle, pour se reposer, pour visiter Genève au bras de son fiancé... et peut-être qu'enfin, les conditions seraient réunies pour accueillir ce bébé si ardemment désiré...

Telle Perette et son pot au lait, elle se bâtit un avenir enfin rangé, une vie de famille heureuse, pareille à celles qu’elle avait côtoyées sur les hauteurs de la Vallée de la Sagne…

Et telle Perette, son petit monde s’écroula brutalement lorsqu’elle apprit qu’en fait son homme avait succombé au seul vice qui ne l’avait pas encore touché. Qu’il s’était donné sans résistance au démon du jeu, en entraînant avec lui le peu d’équilibre que son couple avait réussi à trouver.

Pourtant, quelques petits incidents auraient dû l’alerter avant qu’il ne soit trop tard !

Telle par exemple, la disparition inexpliquée du contenu de la petite cruche de grès dans laquelle elle mettait les quelques piécettes grappillées ici et là... Ou encore lorsque le propriétaire lui réclama l’argent du loyer, alors que l'enveloppe avait été préparée quelques jours auparavant...

 

Mais ce ne fut que le soir où elle rentra exténuée après la fermeture de la quincaillerie, qu’Aimée apprit...

Cette fois, Henri ne put éluder ses questions ni continuer à la mener en bateau, lorsqu’elle le découvrit fort mal en point, roulé en boule sur leur lit, alors que leur petite chambre semblait avoir été dévastée par un cyclone.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? T’as de nouveau passé ta journée à boire ?!

Sur le moment, en effet, connaissant combien le vin blanc pouvait le mettre d’humeur destructrice, elle crut qu’il avait délibérément mis la pièce à sac. Mais elle regretta son accusation lorsque, tel un petit garçon, il se mit à pleurer en se jetant à ses pieds.

- Non, ma Perle. J’te jure que j’ai rien bu !...

- Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? interrogea-t-elle, dérangée par cette marque de faiblesse. Et lève toi, t’es ridicule ! Si c’est pas toi, qui c’... ?

- Aimée... Cette fois... Je suis vraiment dans la merde. Je t’en supplie, pardonne-moi... Aide-moi...

L’espace d’un instant, un éclair de lucidité traversa son esprit, et elle se demanda comment elle pouvait être assez folle pour user sa jeunesse en compagnie de cet individu si pathétique. Son visage bouffis par l’alcool et noyé de larmes, lui répugna tant qu’elle eut envie de le laisser là, quelle qu’ait pu être la nature de ses ennuis.

Mais soudain, l’image d’Henri arrivant sur sa moto au mariage de Luther se chargea de lui rappeler combien elle l’aimait, et avait besoin de lui. Aussi, après avoir machinalement remis d’aplomb le petit miroir suspendu contre la porte, elle s’approcha du lit, et prêta l’oreille à la confession de l’amour de sa vie.

- J’ai vraiment déconné cette fois... commença-t-il, enfin à nouveau maître de ses émotions. Tout ça, continua-t-il en désignant la pièce d’un geste large. Tout ça, c’était un avertissement...

- Un quoi ? !

- J’dois du fric... Beaucoup de fric... A un type qui rigole pas, crois-moi. Il m’a envoyé ses hommes de main pour me montrer que sa patience a des limites, et qu’elles seront bientôt franchies... Que la prochaine fois, ce sera pas à mon logement qu’il s’en prendra...

Incapable de terminer sa phrase, tant cette visite hostile lui avait fait peur, il cacha honteusement son visage entre ses mains tremblantes, pour ne pas avoir à supporter le regard interloqué d’Aimée.

- Qu’est-ce que tu entends par *beaucoup* de fric ? murmura-t-elle, fort peu rassurée par cette explication.

- 5'000 balles.

- Quoi ?!!! Mais... Comment... ?

- Poker... Mais j’te jure, j’me rendais pas compte... C’est un malin, ce type, il sait comment t’embobiner...

- Ah non! Tu ne vas quand même pas oser me sortir ta grande théorie de *c’est pas d’ma faute, c’est les autres* ! Personne ne perd autant d’argent sans y être pour quelque chose !

- Aimée, ma Perle, s’il te plaît, écoute-moi ! J’étais si sûr de gagner ! Jusqu’à présent, j’ai toujours réussi à me refaire ! Ça s’est fait lentement, j’ai rien vu arriver. Il me prêtait toujours ce que je lui demandais... Et il y a un mois, il m’a remis la facture, à payer dans la semaine. Tu penses si j’avais de quoi !!! J’ai réussi à le faire patienter avec des petites avances... Mais maintenant, y’a plus rien ! J’sais plus quoi faire...

- Et ton copain pour qui tu faisais des petits boulots ?

- Tu voulais que je t’annonce que j’gagnais au poker ?

Bien sûr, l’idée qu’il ait travaillé était trop belle ! songea Aimée, dont la colère se mua en sentiment de trahison. Comment pourrait-elle lui pardonner ses mensonges, ces jours de bonheur gagnés grâce au vice ? Tous les espoirs, les rêves qu’elle avait faits, alors qu’il était en train de s’enfoncer ? Oui, ce fut cela qui lui causa le plus de peine : la pensée d’avoir si facilement oublié la nature de son compagnon...

- J’ai peur, ma Perle... Il est capable de tout... J’veux pas qu’il s’en prenne à toi...

Contrairement à bien des fois, où il usait et abusait de tels arguments pour amadouer Aimée et obtenir ce qu’il désirait, il parut sincèrement préoccupé par l’intégrité physique de sa femme. Et bien sûr, émue par sa prévenance, envoûtée par la douceur des doigts qui dessinèrent délicatement les contours de son visage, elle renonça à se révolter, et embrassa les lèvres pleines si proches des siennes, en signe de réconciliation.

- Écoute, on va te sortir de là, décida-t-elle, convaincue de trouver une solution. J’ai vu qu’ils cherchaient une employée au Lux... Peut-être que je pourrai me faire engager pour le soir... Tu crois que, si tu lui promets de lui donner tout ce que je gagnerai là-bas, il patientera quelques mois ?

- On peut toujours essayer de lui demander...

Comme si le nouveau sacrifice d’Aimée était naturel, pas un « Merci », pas un « Je vais aussi trouver du boulot », aucune parole reconnaissante ne franchit les lèvres d’Henri. Au contraire, satisfait d’avoir entendu ce qu’il attendait, il esquiva la demande légitime de sa compagne, qui voulut lui arracher la promesse de ne plus toucher aux cartes, en l’enlaçant avec passion.

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M
<br /> <br /> Sauve-toi Aimée ! Sauve-toi avant qu'il ne soit trop tard...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Le plus heureux dans toute cette histoire, c'est le lecteur qui se délecte de cette passionnante aventure <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Que voilà un bon conseil ! Dommage qu'il arrive un peu tard... quoi que après il n'y aurait plus eu d'histoire <br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Je crains le pire pour la suite avec toute cette histoire ! Pauvre Aimée !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Allez, ça va finir un jour par s'arranger <br /> <br /> <br /> <br />