Au Rendez-Vous... : Le Tsar 1/1

Publié le par Marie A

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CHAPITRE I

La seule période au cours de laquelle Nicolas connut véritablement le calme et la douceur dura en tout et pour tout 7 mois. 28 misérables semaines de répit, avant que la haine ne pénètre son quotidien.

Jusqu’à cette date fatidique, sa mère était une sculpturale adolescente insouciante et sans problème, dont le principal divertissement consistait à faire tourner la tête de tous les hommes non mobilisés de la région. Tout comme ses parents, intendante et garde-forestier du domaine, elle habitait le château du plus riche propriétaire de forêts de l’est du département des Vosges, un Baron dont la famille avait conquis son titre de noblesse dans l’antichambre du plus grand roi de France.

Lorsque leur Huguette commença à ne plus pouvoir camoufler la preuve de son inconduite, le ciel s'effondra sur la tête de Lucien et Louise Meunier, qui avaient toujours tout accordé à leur unique descendante. Malades à l'idée de voir celle qui était la prunelle de leurs yeux devenir la proie des commérages de la région, les époux firent tout ce qui était en leur pouvoir pour cacher cette infamie. Sous le prétexte d'une tante à soigner à l'autre bout du pays, ils éloignèrent leur enfant, et l'enfermèrent dans une vieille cabane de bûcheron dont seul Lucien connaissait l'existence.

Contrairement à son mari, qui devant le refus catégorique de la jeune fille de dévoiler le nom de son *auteur*, décida de ne plus mettre les pieds dans cette partie du domaine, Louise n'eut pas le cœur à renier son enfant. Prête à tout pour la sortir de ce cauchemar, elle prit chaque après-midi le chemin de la cabane, munie d'une nouvelle recette pour se débarrasser du bâtard.

Jusqu'à l'accouchement, la pauvre adolescente se retrouva ainsi prisonnière de la clairière bordée de sapins et de hêtres, obligée à se livrer à une multitude de pratiques barbares destinées à tuer cette petite vie qui se développait en elle. Elle n'échappa ni aux mixtures imbuvables chargées d'empoisonner le fœtus, ni aux positions susceptibles de l'étrangler avec le cordon, et encore moins aux exercices pouvant provoquer un accouchement prématuré, et ainsi fatal.

Après chaque séance, lorsque Louise retournait à son service, Huguette se retrouvait seule avec ses remords et ses rêves brisés. Tout en pansant ses blessures autant morales que physiques, la jeune fille en vint tout naturellement à haïr cette chose au fond de son ventre, source de tous ses ennuis. Après un mois de supplices quasi quotidiens, elle en vint même à se livrer spontanément à de pires tortures, à côté desquelles les potions de Louise firent effet de sirop pectoral. Et pourtant, miraculeusement, malgré toutes les souffrances infligées à cette petite vie qui ne demandait pourtant qu'un peu de calme et de douceur, la grossesse arriva à son terme.

La délivrance dura un jour entier, au cours duquel l’adolescente se tordit de douleur sur son lit, en maudissant cette chose qui tentait vainement de se frayer un passage à travers le tunnel maternel, que les acides et les blessures avaient rendu impénétrable. Pendant 24 interminables heures, celle qui n'était encore qu'une enfant hurla à la mort à chaque contraction, sans autre soutien que les insultes de sa mère, qui n’eut pas le courage de la laisser seule affronter cette terrible épreuve.

Ce chemin de croix se termina à l'aube du 17 juillet lorsque, à bout de forces, Huguette Meunier expira en demandant au Ciel, et à ses parents, de lui pardonner sa conduite.

La raison de Louise s’envola avec le dernier soupir de sa fille. Animée d’une haine irrationnelle, elle saisit un vieux couteau émoussé, et trancha le ventre rebondi, comme si le fait d’en extirper le bébé pouvait faire revenir la vie dans ce corps adulé.

Mécaniquement, elle libéra le nouveau-né de sa prison, le posa sur Huguette, puis coupa le cordon en proférant une malédiction ponctuée d’une projection de salive sur le petit corps ensanglanté. Pour tout soin, elle recouvrit les deux enfants d'une couverture de laine, puis embrassa sa fille en lui souhaitant bonne nuit d’une voix étrange, avant de retourner au château où elle reprit son service d’intendante sans rien laisser paraître de ses tourments.

Commencèrent alors de longues heures de solitude pour le petit être couché sur ce corps de plus en plus froid et rigide. Avec un instinct de survie sur-développé par ses deux mois d'enfer, il réussit à ramper jusqu'à la poitrine de sa mère pour saisir un des mamelons, au sommet duquel perlaient quelques gouttes de lait. Ainsi, après avoir happé goulûment le peu de nourriture préparée par la nature, il s'endormit tranquillement, épuisé par ses dernières heures de supplice.

Il ne s'éveilla qu'à la tombée de la nuit, lorsque la fraîcheur envahit la forêt. Frigorifié et affamé, il hurla à pleins poumons, jusqu’à ce que Louise, animée du fol espoir d’avoir été victime d’un cauchemar, franchisse à nouveau la porte de la cabane.

(...)


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M
<br /> <br /> Et bé, ça commence bien. Ou plutôt non, ça commence mal pour le petit bout. L'enfant rampant pour trouver le lait de sa mère morte, c'est une figure de style. C'est une scène qui présage à<br /> notre héros un avenir à la fois dur, semé d'embuches mais finalement couronné de succès. Mais bon, je peux me tromper.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> En tout cas, merci pour avoir construit l'autoroute me permettant de naviguer facilement dans ton roman. <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Oh sans toi, l'autoroute n'aurait même pas été esquissée, alors merci <br /> <br /> <br /> Pour la *figure de style* je ne l'avais même pas remarquée... mais maintenant que tu l'as décrite, c'est limpide en effet ! Et comme toujours, tu n'as pas tort !<br /> <br /> <br /> <br />