Au Rendez-Vous... : Aimée 10/3

Publié le par Marie A

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Malgré les apparences, Aimée ne retourna pas dans les bras de Morphée.

Après avoir laissé quelques minutes d’avance au Tsar, elle s’habilla à son tour, et le suivit le plus discrètement possible. Avançant tant bien que mal dans la forêt, trébuchant sur les racines, détruisant ses magnifiques escarpins dans deux ou trois flaques de boue, elle le rejoignit enfin sur le seuil d’une minuscule maisonnette envahie de rongeurs et couverte de poussière.

Elle ne connaissait rien de l’histoire de la cabane. Elle ne savait pas que Nicolas venait d’ouvrir la porte de l’unique endroit sur terre où il s’était eu senti à l’abri, protégé des agressions de ce monde qui le haïssait. A la seule lueur de la lampe à pétrole, l’impression que lui produisit cet endroit lugubre fut que son mari avait été le pion d’un jeu cruel, la victime d’une monstrueuse humiliation faite par le Baron à un descendant honni.

Elle s’apprêtait à le signaler, à s’offusquer bruyamment de ce manque de considération, de cette haine poursuivant son mari jusque par-delà la mort, lorsque quelque chose dans l’attitude de Nicolas l’en dissuada. Il ne semblait pas surpris. Au contraire, il paraissait tranquillisé, comme s'il était satisfait de cet héritage. Et cette paix inattendue se refléta dans le regard qu’il lui adressa au moment où il prit conscience de sa présence à ses côtés.

Seigneur ! La caresse de ces yeux brûlants lui donna la fièvre, le sentiment d’entrer dans son monde, d’enfin partager quelque chose avec lui, de former pour la première fois un vrai couple !

- Bienvenue chez moi...

Il n’ajouta rien. Ou peut-être continua-t-il de parler, mais Aimée ne l’entendit plus. Remuée au plus profond de son être par la voix douloureuse et si sensuelle, elle n’eut pas assez de toute sa volonté pour lutter contre l’envie de devenir un jouet entre ces bras qui ne l’avaient jamais enlacée...

Mécaniquement elle suivit son homme à l’intérieur. Elle le regarda redresser machinalement une chaise, replier un haillon suspendu au-dessus de la cheminée, préparer un feu avec un troupeau d’éléphants taillé dans une bûche, avec l'assurance du propriétaire, comme s'il n'avait jamais quitté cet endroit...

Totalement hypnotisée, elle fut incapable de réfléchir, ni de s’effrayer de l’envol de quelques chauves-souris, pas plus que de la fuite d’une famille de mulots. Elle resta là, au milieu de l’unique pièce, promenant son regard sur les murs envahis de toiles d’araignées, sur les pages de magazines jaunies fixées aux planches...

... jusqu'à ce que soudain, un objet informe à moitié déchiqueté gisant sous ce qui avait dû être un lit, attire son attention. Intriguée par sa texture, par son aspect, elle se baissa pour le saisir et l’observer de plus près.

Un ours en peluche !

Subitement, tout cet amour qu’elle venait de découvrir explosa en une passion dévorante, devant ce jouet en voie de décomposition.

Son mari, Le Tsar, avait donc eu été un petit enfant ! Il était un être humain comme elle. Il avait eu joué, s’était attaché à un objet, peut-être même l’avait-il serré contre lui pour s’endormir en suçant son pouce, comme le faisait son cher petit André autrefois... Ou peut-être que cette chose répugnante avait eu droit aux confidences, aux premiers émois...

- L’ours de David-Alexandre... Je l’avais piqué le jour où il est parti en pension. Il n’en avait plus besoin et ses yeux de verre me plaisaient. J’ai reçu une belle correction le jour où la nounou l’a découvert... mais elle me l’a laissé.

Cette fois, Aimée fut incapable de contenir plus longtemps l’explosion de ses sens. Sans réfléchir, mue par une impulsion irrépressible, elle sauta au cou de son homme, et entreprit d’éveiller en lui cette ardeur qu’il semblait avoir congelée quelque part au plus profond de son être.

L’effet de surprise fut total ! Tétanisé par cet élan inattendu, le Tsar resta figé, glacé, alors que son épouse déployait tout son savoir-faire et son amour tout neuf pour l’inciter à baisser sa garde et à se montrer coopératif.

Elle le voulait oh oui ! Comme jamais elle n’avait désiré un homme ! Elle voulait sentir la chaleur monter en lui, éprouver la caresse de ses mains sur son corps... Elle voulait le dévorer de baisers, goûter à ses oreilles, enfouir son visage dans son cou... sentir sa peau contre la sienne, embrasser son torse puissant, humer sa transpiration au creux de son coude...

Et lentement, très lentement, Nicolas commença à répondre à ses baisers. La pression sur ses lèvres pleines se fit plus dure, les bras se resserrèrent autour de sa taille, et le bonheur déchira la jeune femme, qui n’avait encore jamais connu pareille émotion.

Et subitement, le volcan tapi au cœur du Tsar s’éveilla, explosa dans une étreinte passionnée. Le monde s’écroula. Aimée devint pantin entre les mains de son mari, qui ne semblait pas avoir assez de ses 5 sens pour s’imprégner d’elle.

Elle se laissa faire lorsqu’il arracha son chemisier. Elle n’eut aucune réaction lorsqu’il la souleva et la plaqua contre la porte. Elle n’esquissa pas un geste lorsqu’il tenta de lui attacher les bras à la poutre du plafond...

Mais elle hurla.

Oui, elle cria son incompréhension, sa frustration, quand inexplicablement, au moment où ils n’allaient plus faire qu’un, où ils allaient enfin se fondre l’un dans l’autre dans un tourbillon de désir et de passion, Nicolas se calma.

En une fraction de seconde, il redevint cet être froid, farouche, ce monstre sans émotion qu’il était habituellement. A nouveau, il toisa son épouse de son regard d’acier, accusateur, dégoûté et empli de reproches. Sans un mot, il ramassa la chemise noire tombée à ses pieds, la jeta au visage de celle qu’il embrassait avec tant de fougue à peine une seconde plus tôt, et s’en alla dans la nuit.

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M
<br /> <br /> Magnifique passage, ce retour aux sources. Tellement bien écrit qu'on avait presque l'impression d'être dans la cabane avec le Tsar et Aimée. <br /> <br /> <br /> Aimée n'a décidément pas de chance, mais elle a quand même réussi à éveiller des sentiments chez le Tsar, malheureusement pas suffisamment longtemps. <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br />        <br /> <br /> <br /> ... même le plus léger battement de papillon peut provoquer des ouragans... (c'était la pensée du jour)<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Décidément, il est terrible ce Nicolas ! La pauvre Aimée, si proche du but...<br /> <br /> <br /> Vivement la suite !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> C'est vrai que l'auteur est particulièrement cruel sur ce coup-là... mais sait-on jamais, peut-être les choses ne sont-elles pas telles qu'elles paraissent...<br /> <br /> <br /> <br />