Au Rendez-Vous... : Aimée 7/2

Publié le par Marie A

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Trois hommes étaient en train d’étudier une carte de géographie posée sur une table, lorsqu’Aimée pénétra dans la pièce à la suite de Viviane. Apparemment rien ne les différenciait l'un de l'autre. Ils portaient le même costume sombre, une montre ornait leur poignet, et aucun ne fit attention à elle. Mais au premier regard, elle sut à qui elle devait d’être là.

Elle avait déjà vécu cela : le jour où elle avait rencontré Henri, elle avait ressenti la même chose. Cette impression de changer d’univers, d’être écrasée par une force, une présence magique émanant d’une personne. Mais si, lors du premier contact avec celui qui avait fait son malheur elle avait eu conscience d’une grande lumière, il en alla tout autrement ce soir-là.

Ce ne fut ni de l’espoir, ni de la douceur qu’elle éprouva. Non, ce fut le froid, mais plus encore la domination et la crainte qui l’enveloppèrent, lorsqu’elle posa les yeux sur cet homme... Ou plus exactement lorsque la chevelure grise, le visage lisse, la posture droite et fière attirèrent son regard comme un aimant. Cette simple présence silencieuse éclipsait toutes les autres, et provoqua chez Aimée un malaise qu’elle eut bien du mal à réprimer.

- Messieurs !... Je vous amène la nouvelle !

Un morceau de viande !

En entendant cette apostrophe de Viviane, ce fut ce à quoi Aimée se sentit comparée. Scandalisée, elle s'apprêta à protester et à arguer de son statut d’être humain, mais son aînée ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche, et continua en ignorant le regard courroucé de sa protégée.

- Allons Aimée avance, que je te présente. Tu connais déjà le Grand Jojo ?

L’interpellé n’avait pas de couvre-chef, mais ses deux doigts touchèrent machinalement son front, alors qu’il remontait le moral de la jeune femme par son sourire enthousiaste si reconnaissable.

- Bien le bonjour, M’dame ! Vous avez l’air d’avoir récupéré...

- Oui merci, ça va mieux...

Un accès de toux discret ayant interrompu leur petit dialogue amical, Joseph retourna immédiatement à son occupation, laissant Viviane poursuivre son tour de table.

- A droite de Jojo, c’est Rembrandt. Un conseil, si t’as un coup de cafard, va vers lui, il est toujours de bonne humeur... Et là, au bout de la table, t’as le Tsar…

*Le Tsar* ?!

Bien sûr ! Elle aurait pu trouver toute seule ce pseudonyme pour un être aussi froid, distant, mais avec une présence aussi magnétique ! Il n’y avait que...

Aimée ne put poursuivre sa réflexion. Soudain, un coup de poing en plein estomac la laissa sans voix, incapable de faire un mouvement, ni de penser ou même de respirer.

Oh personne ne la toucha ! En fait, ce fut une décharge électrique, un jet d’azote liquide projeté par un regard d’un bleu d’une intensité exceptionnelle, qui la paralysa.

Elle resta ainsi debout, le cœur battant la chamade, l’esprit pris dans un étau de glace, les yeux noyés dans les prunelles couleur de fjord norvégien, jusqu’à ce que le Tsar, d'un hochement de tête, ordonne à ses compagnons de quitter la pièce.

- Assied-toi...

La voix l’avait terrifiée. La personnalité l’avait écrasée. Et le regard l’avait pétrifiée... Mais étrangement, dans sa globalité, le Tsar l’intrigua plus qu’il ne l’inquiéta. Quelque chose émanait de lui, de son ton qui conservait une note menaçante malgré la neutralité de la proposition, de ses yeux toujours en mouvements qui ne la quittaient pas... Elle fut réellement fascinée, et obéit sans se poser de question, sans même songer que cette invitation aurait pu être refusée.

- Ta chambre te plaît ?

Sa chambre ? Soudain, cette interrogation la ramena à la réalité, lui redonna toutes ses facultés de même qu’elle fit remonter à son esprit toutes les questions qui n’avaient pas encore trouvé de réponse et qu’elle brûlait de poser.

- Henri... Qu’est-ce que vous avez fait de lui ?

La simple évocation de cet homme sembla contrarier le Tsar au plus haut point. Le visage fermé et dur, il pinça ses lèvres fines, retroussa son nez, et détourna la tête dans le but de contrôler sa mauvaise humeur.

- Tu ferais mieux de l’oublier, répondit-il alors avec mépris. Il a eu ce qu’il méritait. Il a joué et il a perdu, il connaissait l’enjeu...

Froid, pragmatique, terriblement rationnel !... Comment un être humain pouvait-il être à ce point dénué de sentiment ? songea Aimée, saisie d’un brusque frisson. Certainement que l’idée de l’échanger venait...

- ... Il aurait pu refuser, mais il ne l’a pas fait. Tu es à moi, maintenant. Tu travailleras pour moi jusqu’à ce que j’estime la dette de Jaquet remboursée. Viviane t’expliquera de quoi il retourne... Maintenant parle-moi de toi... que je sache à qui j’ai affaire. Tu viens d’où ?

Tout dans son attitude annonçait que le Tsar ne supporterait pas d’être mené en bateau. Aussi, sentant qu’elle n’avait plus rien à perdre, ni surtout à gagner en s’inventant un passé, Aimée raconta tout en quelques phrases. Depuis sa conception en cette nuit du 14 juillet 1923, jusqu’à son amour pour Henri, en passant par sa carrière avortée de religieuse et ses quelques années d’employée de ferme.

Pourquoi se dévoiler ainsi devant un homme qui lui avait donné des sueurs froides ? Elle n’en eut aucune idée, mais cela lui fit du bien. Lorsqu’elle termina son récit, elle se sentit rassurée, calmée, prête à soutenir le regard d’acier de son interlocuteur. Et elle eut raison, elle ne trembla pas lorsque les deux lasers électriques pénétrèrent au plus profond de son âme... Mais elle ne put supporter le silence qui les accompagna, silence qu’elle dut briser à tout prix, même à celui d’une réponse cinglante.

- Dites... Sans vouloir vous contrarier... Est-ce que je peux vous poser une question ? interrogea-t-elle d’une toute petite voix.

Un hochement de tête l’invita à poursuivre, mais cela ne l’empêcha pas d’y aller avec précautions.

- Vous avez... euh... gagné... avec quoi ?

- C’est pas important. J’ai gagné, c’est tout. Bon. Tu peux retourner vers Viviane. Demain matin vous irez faire les boutiques, il te faut des robes dignes de ce nom... Et tu te mettras au travail lundi...

Le ton impérieux n'admettant aucune protestation, produisit un étrange effet sur la jeune femme. Une peur diffuse se réveilla, un vague souvenir revint à sa mémoire, lui donnant une impression de déjà vu.

Où avait-elle donc déjà été confrontée à cette autorité  ? L'image était brumeuse, mais oui, elle avait déjà rencontré un homme de cette trempe, en la personne de l’officier allemand de Richebourg ! Voilà à qui le Tsar lui faisait penser ! Un soldat Aryen dans toute sa splendeur, dans toute son austérité, dans sa présence menaçante ! Mais contrairement au Commandant Nazi, le Tsar n'avait pas besoin de l'uniforme militaire pour imposer sa volonté et dominer même les plus rétifs.

Et comme en ce jour sombre de juin 1949, Aimée n'eut pas le courage de prolonger la conversation. Sagement elle baissa le regard, et attendit que son désormais *propriétaire* désigne la porte d’un mouvement de menton pour sortir sans demander son reste, consciente du regard glacé posé sur son dos.

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M
<br /> <br /> Quelle rencontre... j'en ai des frissons dans le dos !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> C'est vrai ? Alors le but est atteint youpie !<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Les destinées des personnages commencent à se rejoindre...<br /> <br /> <br /> Vivement la suite !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Fallait bien que ça arrive un jour ou l'autre.<br /> <br /> <br /> Et pour la suite, on va frôler l'îndigestion(sans gâteau de l'amoooour ), elle arrive tantôt...<br /> <br /> <br /> <br />