D'une Berge à l'Autre : Raphaël / 37

Publié le par Marie A

D'une Berge à l'Autre : Raphaël / 37

En ce samedi soir, Raphaël était arrivé au point où toutes ses contrariétés et ses frustrations prenaient le pas sur son naturel enjoué et optimiste.

Généralement il dépassait ce stade en commandant une -ou plusieurs- nouvelle tournée.

Parfois, il éprouvait le besoin de se vider de ce trop plein d'émotions. Il cherchait alors la bagarre, avant de rentrer chez lui pour s'apitoyer sur son sort, et finir de dépenser son énergie. Il avait besoin de ces séances sporadiques de défoulement qui éveillaient les voisins et laissaient des traces sur son mobilier. Il en sortait immanquablement avec un mal de tête carabiné, mais au moins, ses batteries étaient rechargées, son sac vidé, et il était prêt à repartir d'un bon pied jusqu'à la crise suivante.

Et ce soir-là, tout était réuni pour que celle-ci en soit une mémorable :

Il y avait presque un mois qu'il était rentré chez lui, la mort dans l'âme et la rage au ventre. Et depuis, il n'avait plus trouvé le courage de retourner chez Yolande. Cédrine -vraiment devenue sa petite sœur et sa complice depuis qu'il avait essuyé ses larmes sur son pull- passait bien régulièrement le saluer et lui donner indirectement des nouvelles de sa mère en se plaignant de broutilles, qu'il aurait adoré partager avec elles. Mais Elle n'avait jamais franchi le pas, et restait chez elle, à le saluer vaguement lorsque leurs regards se croisaient de fenêtre à fenêtre. Pourtant elle l'accueillait chaleureusement quand il passait à sa caisse…

Depuis son plus jeune âge, il avait comme règle de ne jamais s'imposer quelque part. Aussi, malgré son envie de souper tous les soirs en compagnie des ses femmes, il attendait désespérément un geste de Yolande lui prouvant qu'elle n'avait pas tourné la page.

Certes, il la connaissait bien désormais. Il savait qu'elle n'était pas du genre à faire le premier pas. Il avait compris que de douloureuses expériences avaient brisé en elle une faculté de sociabilisation qui ne devait déjà pas être bien élevée avant la trahison du père de Cédrine… Mais il était lassé de devoir toujours bouger pour les deux. Une fois. Juste une fois, il voulait qu'elle lui témoigne spontanément ne serait-ce qu'une minuscule preuve d'affection en traversant la route… Ainsi elle montrerait que ce sentiment d'un lien spécial entre eux n'était pas à sens unique, qu'il avait aussi un peu d'importance dans sa vie...

A moins qu'elle n'ait peur de revenir là où il s'était montré si pathétique ? Là où il l'avait terrorisée avec son couteau ? Là où uniquement le besoin de trouver des réponses l'avait empêché de commettre l'irréparable ?

- Hé la mère, t'es là ?

Quoi qu'il en soit, en ce samedi soir, il n'avait pu résister.

Durant la semaine, il avait célébré tristement l'anniversaire de leur rencontre. Il s'était repassé le film, en se souvenant du choc éprouvé lorsqu'elle était passée à côté de lui. Il avait revécu ses espoirs, ses manœuvres d'approche, ses déceptions… Et il avait sabré le champagne en faisant le bilan de ce qu'il avait gagné durant l'été. Seul dans son salon, il avait porté un toast à cette famille à laquelle il savait appartenir désormais. Elle n'était de loin pas parfaite, mais c'était la sienne. Liens du sang ou pas il avait trouvé son oasis.

Cette petite fiesta trop sage l'avait laissé frustré. Il aurait tellement voulu pouvoir la partager… bonnes résolutions ou pas. Et c'était pour cette raison qu'au lieu de rentrer se cloîtrer chez lui, il s'était retrouvé derrière la porte du logement de Yolande, à tambouriner et l'appeler sans tenir compte du sommeil des voisins.

- Hé, ho, t'es là ? Ouvre, merde !

La patience n'avait jamais été son fort, et son début de soirée n'avait pas contribué à l'accroître. Il eut de la peine à attendre qu'elle se bouge, d'autant plus qu'il savait qu'elle attendait la rentrée de Cédrine… et il avait aperçu la gamine en train de se trémousser sur la piste de danse au moment où il avait sans ménagement envoyé promener ses copains…

- Oui oui, j'arrive. Du calme, y'a pas le feu ! Qu'est-ce qui se passe ?

Il avait eu raison. Elle était bien réveillée, et lui avait ouvert vêtue de cet immonde peignoir qu'elle portait à Nouvel An, quand il lui avait parlé pour la première fois…

- Et ben, tu t'es mis dans un sacré état ! Salut Raph…

Il n'était pas assez fait pour ne pas remarquer sa désapprobation face à son intrusion, mais il s'en moqua. Une force le poussa à ignorer sa remarque, pour pénétrer d'autorité à l'intérieur. Il avait trop besoin de retrouver cette atmosphère rassurante, cette chaleur, ce bien-être, désormais absents de son propre appartement...

- J'en peux plus… C'est trop dur…

Seigneur, que ce cocon lui avait manqué ! Il en prit conscience en se laissant tomber sur sa chaise, celle qu'elle lui avait toujours réservée à table.

L'apaisement fut instantané, en respirant les effluves de sauce tomate du souper, en retrouvant les trous dans le formica là où il posait son verre… La fatigue le saisit. Toutes les heures passées à se retourner dans son lit à la recherche du sommeil s'abattirent sur ses épaules. Il ne demanda rien d'autre que de dormir, la tête dans ses bras, enveloppé par le regard bienveillant de Yolande…

- Quoi que ce soit, tu sais qu'on est là…

Sur le moment, l'esprit trop embrumé, il ne comprit pas pourquoi elle lui répondait cela après l'avoir embrassé doucement sur la tempe. Puis ses propres paroles lui revinrent, cette plainte concernant cette attente interminable d'une visite de sa part. Evidemment, elle n'avait de nouveau rien compris au scénario, mais il n'avait plus l'énergie de se lancer dans de grandes explications. Il se contenta de grommeler un vague laisse tomber dont il douta sincèrement qu'il fut intelligible, avant de replonger dans sa torpeur.

Elle était à côté de lui, et c'était tout ce qui comptait. Il pouvait sentir sa chaleur, entendre sa respiration. Le monde pouvait s'effondrer, il était à la seule place où il voulait être.

L'ennui était que ce n'était qu'un petit instant arraché au quotidien…

- Va t'habiller. Faut que je te montre quelque chose !

Il fut le premier surpris de s'entendre donner cet ordre, de même que de se sentir subitement regonflé à bloc, prêt à courir un marathon.

- Mais voyons Raph, il est une heure du matin ! Ça peut attendre demain ! Va plutôt te coucher, ça te fera plus de bien.

Plus de bien ! Comment pouvait-elle savoir ce qui était le mieux pour lui, alors qu'elle n'avait aucune idée de l'endroit où il allait l'emmener ?

- Non ! On a mieux à faire. Allez, grouille-toi !

Il n'avait pas prémédité de lui parler de son projet si vite, et encore moins de cette façon. Comme souvent avec Yolande, les circonstances avaient décidé pour lui. Il avait agi sur l'impulsion du moment, et ce n'était pas plus mal. Il y aurait quelque chose de plus intense ainsi, au milieu de la nuit…

- Bon alors, si tu m'expliquais où on va ?

Ils marchaient côte à côte depuis un moment, profitant de l'instant, sans avoir besoin de parler. Et soudain, elle avait brisé le charme avec sa question. Il n'avait surtout pas envie de l'éclairer, pour ne pas gâcher le moment, mais il ne pouvait rester silencieux…

- Tu sais que cette semaine, ça a fait une année que je t'ai trouvée ?

Il savait qu'il aurait dû parler de la température clémente pour cette mi-novembre, ou de la dernière opération promotionnelle de l'enseigne où elle travaillait. Mais cette date était si importante dans leur histoire, même si elle ne la concernait qu'indirectement…

- Dire que je n'ai pas fait attention à toi… C'est mal fait quand même, un si beau garçon !

S'il y avait une chose à laquelle il ne s'attendait pas, c'était bien de se faire traiter de beau garçon ! Et encore moins de sa part, elle qui mesurait toujours ses paroles, et ne partageait jamais ses pensées…

- … Ben quoi, c'est vrai que tu es bien réussi !...

Elle était rouge de confusion en continuant sur sa lancée, certainement impressionnée par le regard interloqué qu'il lui jeta en guise de réponse.

- … Le seul défaut qu'on peut te trouver, c'est d'être trop sage et trop poli…

Cette fois, ce fut à Raphaël de se sentir embarrassé par cette déclaration ambiguë. Il avait toujours été très clair au sujet de ses attentes envers elle, mais qu'allait-il faire si elle se mettait à penser autrement… ?

- Ecoutez-la celle-là ! s'exclama-t-il plus sarcastique qu'il ne l'aurait voulu. C'est qu'elle me reprocherait d'avoir bien tourné !

La chose était cruellement ironique, et lui fit plus de mal qu'il n'aurait imaginé. Par sa réflexion, Yolande lui montrait toute l'étendue de son ignorance à son sujet…

- … Désolé d'avoir écouté les conseils qu'on m'a donnés, poursuivit-il en tentant de conserver son ton narquois pour ne pas s'effondrer. Ah, mais non j'y suis ! Si j'avais fini en taule, tu ne m'aurais jamais eu dans les pattes…

Cette dernière remarque sortit spontanément, plus pour lui-même, pour se faire mal et lui apprendre la prudence, que pour elle. Mais elle ne remarqua pas son désarroi. Piquée au vif par cette accusation, elle se referma comme une huître. Le regard noir, elle émit un son étrange, avant de tourner les talons.

Tout comme l'année précédente, le monde de Raphaël s'effondra en la voyant partir. Les choses ne pouvaient finir ainsi ! Il ne pouvait pas tout abandonner, alors que justement…

- Hé Yolande ! Fais pas ça merde !

Par pur réflexe, il réussit à lui agripper le bras, et à se placer devant elle pour lui barrer le passage.

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J
Décidément, on se demande où Raphaël veut mener Yolande...
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M
Même pas une petite idée ?
M
Il lui barre le passage, et... ? Et le lecteur va passer la semaine à se demander ce qu'il va se passer ;-)<br /> <br /> N'empêche, si les pensées pouvaient devenir paroles, tout irait mieux entre Raphaël et Yolande. Mais ce n'est pas souvent le cas... dans la fiction comme dans la réalité...
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M
Que voilà comme souvent des paroles pleines de sagesses de votre part, cher Mr. Peyton :-)