Le Sac Rouge : 6/8

Publié le par Marie A

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- Tu sais, mon frère a toujours été un très bon comédien. Il a appris depuis tout gosse à cacher ses émotions... Pourtant tu peux être sûre que ta promesse l'a ému. Mais tu comprends aussi qu'il ne pouvait pas l'accepter. Il avait trop souffert pour se lancer dans cette aventure...

- Après ce que tu as raconté, c'est concevable... C'est un peu ce que j'ai trouvé comme explication quand on s'est disputé le lendemain...

- Ouais. Quand il t'a vue partir furieuse, même si inconsciemment c'était ce qu'il cherchait, il s'en est voulu à mort... C'est pour ça qu'il a tout fracassé dans la chambre... Il a fallu que tu reviennes avec encore plus de tendresse et de patience, et surtout que tu le berces toute la nuit, pour qu'il accepte de te laisser une chance. Ça a vraiment été une découverte, cette journée passée à avoir une vraie relation avec quelqu'un, à plaisanter, à sourire, à faire des gamineries. Malheureusement il a retrouvé sa torture le lendemain. Il a vécu l'enfer pendant la matinée. A la seule pensée que tu puisses être gentille avec quelqu'un d'autre que lui, il a eu des envies de meurtre, et c'est ce qui l'a décidé à partir.

- Mais pourquoi ? S'il me l'avait dit, j'aurais tout laissé tomber. J'aurais fait n'importe quoi pour lui, pour qu'il passe enfin une nuit sans pleurer...

En l'entendant, prête à entrer au couvent pour le bonheur de celui qu'elle connaissait à peine, François la dévisagea avec incrédulité.

- Tu sais, Alain a été plus raisonnable que toi. Tu ne te rends pas compte de l'engagement que ça aurait représenté. Il avait tout à démolir et à reconstruire, c'était un véritable travail de Titan ! Avec son vécu c'était même presque une tâche impossible, il était déjà trop vieux et trop meurtri... Parce qu'il ne faut pas croire que tout se serait passé comme dans un rêve. Ce n'est pas parce qu'il aurait accepté ton affection, qu'il serait devenu un agneau. Au contraire, il aurait continué à te provoquer et à être désagréable, non plus pour t'éloigner, mais pour te tester... Il lui aurait certainement fallu des années pour réussir à quitter sa carapace, et encore, uniquement en ta présence... Tu sais, il avait enfoui si profondément ses sentiments, que je doute qu'il ait pu un jour sincèrement aimer quelqu'un...

- Mais c'était sans importance ! Pourquoi il est parti sans me laisser au moins une chance de lui faire connaître tout ce dont il avait été privé ?

- Pour tout ce que je viens de te dire, mais surtout pour une raison plus importante. Tout au long de ce mois passé chez toi, il était sur une autre planète. Un monde où les parents font attention à tous leurs enfants, où les frères et sœurs s'entraident, où tout le monde est important... En baignant dans cette atmosphère, il a voulu croire qu'au fil des années il avait dramatisé ses souvenirs. Il a réussi à se persuader que son sentiment d'abandon avait été provoqué par une sensibilité exacerbée. C'est pour ça qu'il est venu directement chez nous... Il voulait nous voir, savoir s'il avait un petit peu manqué...

- Et ça a marché ? Tes parents ont été contents de le revoir ? interrogea Céline en retrouvant un semblant d'espoir.

- Malheureusement pas. Papa a été fidèle à lui-même, indifférent. Quant à maman, elle l'a salué avec autant de chaleur que s'il avait été le ramoneur. Je ne crois pas qu'il l'ait remarqué, il avait encore trop d'espoirs... Mais moi, je m'en suis aperçu, et c'est un peu pour qu'il ne s'en rende pas compte que je l'ai accaparé tout de suite... Ça a suffit quelques jours, jusqu'à ce qu'il soit bien installé. Après, il a essayé de changer de tactique par rapport à avant. Au lieu d'attendre un geste d'affection de la part des parents, il a tout fait pour le provoquer. Maman en particulier a eu droit à tout, du petit déjeuner au lit aux cadeaux hors de prix, en passant par les bouquets de fleurs et les chocolats, mais sans aucun résultat.

- Alors, il est reparti, quand il a vu qu'elle était restée la même ?

- Non, il est resté... Avec ta patience, ta tendresse, tu avais réussi le prodige de révéler ses sentiments. Il a rêvé pouvoir faire de même avec elle, et lui faire prendre conscience de ce qu'elle éprouvait pour lui... Il a tenu un petit mois, en luttant pour rester pareil à ce que tu avais fait de lui, mais plus les jours passaient, plus il redevenait comme avant, renfermé et violent. Tout ce qu'il demandait, c'était juste un peu d'amour maternel pour pouvoir se construire, mais tout ce qu'il a reçu encore une fois, c'était de l'indifférence et du mépris... J'ai assisté impuissant à sa rechute, et aux efforts désespérés qu'il faisait pour ne pas perdre pieds... La veille du jour où il...

Subitement, la voix de François se brisa, et il éclata en sanglots violents que seuls les bras bienveillants de Céline parvinrent à apaiser.

- C'est maman qui a tout provoqué, poursuivit-il en essuyant ses joues d'un revers de manche, comme un petit garçon. Au dîner, elle l'a entrepris sans aucun ménagement. Posément, tout en se servant de soupe, elle lui a demandé quand il pensait repartir... Avant même qu'il ait pu répondre, elle a expliqué qu'elle n'allait pas l'héberger indéfiniment... Tu parles du bobard, Floriane et moi, on est encore totalement à la charge des vieux...

- Oh mon Dieu, mais c'est pas possible ! Comment Alain a réagi ?

- Tu penses bien qu'il a été touché en plein coeur. Il est devenu livide, mais il n'a pas laissé transparaître ses sentiments. Il a continué à boire son bouillon calmement, en l'écoutant lui déverser des choses horribles, du genre qu'il n'avait jamais été vraiment son fils, qu'il avait brisé sa vie en étant aussi ingrat, et que la seule chose positive qu'il avait faite, c'était de partir sans laisser d'adresse... J'ai reçu tout ça en pleine gueule, comme si ces paroles m'avaient été destinées, et j'ai été mortifié. J'aurais voulu la faire taire, rassurer Alain, lui dire qu'elle ne pensait pas ce qu'elle disait, mais j'étais pétrifié...

- J'imagine ! Mais ton frère, qu'est-ce qu'il a fait ?

- Il a écouté sans réagir, en broyant sa serviette dans sa main... C'est seulement quand elle l'a envoyé au diable à mots couverts, qu'il s'est levé... Très lentement il est allé derrière elle, et il a passé ses deux bras autour de ses épaules. Doucement il a commencé à la serrer contre lui, jusqu'à l'étouffer, tout en lui disant d'une voix rocailleuse : *C'est dommage, parce que moi je t'aime... à en crever. Tu es ma mère, et je suis ton fils... Tu ne pourras jamais rien y changer*. Il n'a pas pu continuer... Après il l'a embrassée avec tout l'amour qu'il éprouvait pour elle, et il est sorti de la salle à manger. A peine 10 secondes plus tard, on a entendu la porte de la chambre d'amis claquer, et un hurlement a secoué les vitres de toute la maison.

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M
<br /> <br /> Dommage que François ait eu la trouille de ne pas se confronter à sa mère et dire ce qu'il pensait de sa façon d'agir avec Alain. Il aurait dû y aller franco, essayer de lui faire comprendre les<br /> choses. Ou bien alors essayer de partir avec son frère et l'aider à reconstruire sa vie avec un amour fraternel. Au lieu de quoi il s'est tu. Je veux pas dire que c'est sa faute, mais quand même,<br /> je juge sa façon d'agir un peu maladroite.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> En effet... mais à sa décharge il faut dire qu'il avait aussi à gérer une terrible culpabilité... Et ce n'est pas toujours facile de se dresser contre ses parents.<br /> <br /> <br /> Quant à partir avec son frère, est-ce qu'Alain aurait accepté ? Là est la question !<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Toujours aussi terrible l'histoire d'Alain ! Vivement la suite !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> A plus !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Malheureusement, il existe pire, et ce n'est pas de la fiction...<br /> <br /> <br /> A une prochaine<br /> <br /> <br /> <br />