Le Sac Rouge : 3/6

Publié le par Marie A

Retrouver son travail, ses outils et surtout s'éloigner de cette cohabitation parfois pesante rendit à Céline son enthousiasme, et son plaisir à avoir un compagnon pour briser son isolement. Malgré la perte de son intimité autrefois si précieuse, elle découvrit le bonheur de se sentir attendue, d'avoir une raison de se hâter chaque soir pour regagner son logis, afin de retrouver son locataire généralement d'humeur agréable et de bonne compagnie.

Elle vivait au jour le jour, sans oser penser au moment où Stéphane déclarerait officiellement Alain guérit. Il avait pris une telle place dans son quotidien, elle ne pouvait imaginer de le voir partir comme il était venu, dans ses vêtements élimés, au cœur de l'hiver. Et pourtant, elle n'avait parlé de son ami à personne. Cette relation étrange, les circonstances de leur rencontre étaient son secret, un trésor qu'elle gardait jalousement, de crainte de le voir brisé par les reproches légitimes, les jugements à l'emporte pièce concernant son imprudence...

Lorsque la vendeuse placarda les affichettes annonçant la fermeture de la boutique durant les fêtes, il ne vint pas une minute à l'esprit de Céline d'emmener Alain chez ses parents pour le présenter à sa famille. Inconsciemment elle préféra le garder pour elle seule, et passer une belle soirée paisible, plutôt que de risquer de souffrir en voyant son compagnon se mettre à dos toute sa parenté.

Aussi, bien décidée à faire de ce premier réveillon parisien un événement mémorable, elle s'arrangea pour terminer toutes ses commandes -au prix d'innombrables heures supplémentaires- afin de pouvoir consacrer le dernier vendredi après-midi à parcourir les boutique à la recherche de décorations de circonstance.

Lorsqu'elle repoussa la porte du pied, en appelant son locataire pour partager sa joie d'être en vacances et accessoirement pour lui demander de l'aide pour la décharger des nombreux paquets encombrant ses bras, elle ne remarqua pas le sac de sport posé sur le fauteuil. Ce ne fut qu'en se retournant pour aller suspendre sa veste, que son regard s'arrêta sur le bagage prêt à être emmené. Aussitôt, interloquée et inquiète, elle reprit la parole pour demander d'une voix mal assurée :

- Mais, qu'est-ce que c'est que ça ? Tu pars ?

- Non, c'est toi qui t'en vas, répondit calmement Alain en sortant de la cuisine, un torchon à la main.

- Comment ça ? Tu me jettes dehors ? murmura-t-elle, pétrifiée par cette justification pleine d'aplomb. T'as un sacré culot... Je te signale que c'est MON appartement !

- Eh ! Du calme !... C'est pas un coup tordu ! Pourquoi tu resterais ici à t'emmerder avec moi, alors que chez toi tout le monde te réclame ?...

- Hein ?! Tu as lu la lettre de maman ? s'insurgea-t-elle, pourtant soulagée à la pensée qu'il n'y avait rien d'hostile dans sa démarche.

- Ben, c'était difficile de pas le faire, vu où tu l'as laissée traîner. Faut pas être un génie pour comprendre le message. Tu sais, t'avais pas besoin de prendre des gants... On s'est jamais gêné pour m'envoyer sur les roses... De toutes façons j'attends Stéphane, il doit m'apporter des médocs, et après je débarrasse le plancher. Tu m'auras plus dans les jambes... T'en fais pas, tout est rangé, j'ai rien piqué, même pas ton fameux couteau d'Argentine...

- Mais ça va pas ? Qu'est-ce que tu racontes comme conneries ! s'exclama-t-elle, soudain glacée à l'idée de devoir lui dire adieu. Écoute, cette fois c'est moi qui suis en colère... Ma famille me demande de la rejoindre... Et alors ? Il n'y a rien de nouveau ! A chaque fois qu'il y a une réunion avec mes grands-parents, mes oncles et tantes et toute la clique, ma mère m'invite. Noël n'est qu'une occasion parmi d'autres. C'est surtout un prétexte pour discuter et bouffer depuis qu'il n'y a plus de gosse en âge de réciter des poésies. C'est vrai, c'est un peu magique parce qu'il y a le sapin, murmura-t-elle, en proie à un brusque accès de nostalgie. ... Mais on va en faire un ici, de toutes façons. Je vais essayer de préparer le repas traditionnel de ma mère. Tu verras, ça sera mieux qu'à la maison... D'ailleurs, j'ai déjà commandé le filet mignon chez le boucher.

Qu'importait que sa confiance en ses capacités culinaires ne soit que de façade , elle était heureuse de la tournure des événements, de la prévenance d'Alain, de sa bonne humeur. Ce qui rendit son incompréhension plus grande, lorsqu'il se planta devant elle et la regarda intensément avec cette expression indéchiffrable qui oscillait entre la colère et la perplexité.

- Tu veux dire que tu veux rester ici ?... Avec moi ? murmura-t-il enfin, après une éternité. Tu préfères pas aller voir tes parents et tes frangines ?

- Bien sûr que non, voyons ! Qu'est-ce que j'irais faire là-bas, alors que tu restes ici ? Comment tu veux que je me réjouisse, en te sachant tout seul ?... Mais peut-être que tu as des projets... Tu as un endroit, des gens avec qui tu as prévu de passer ces quelques jours?

En entendant cette question, posée timidement, le regard d'Alain s'assombrit alors qu'il répliquait avec sa douceur coutumière un *Qu'est-ce que ça peut bien te foutre ?*, qui sonna comme un aveu.

- Alors, tu vois bien qu'il faut que je ici !... Ou alors tu m'accompagnes... Ça résoudrait le problème...

- Ça va pas, non ? Tu m'as bien regardé ? T'as vraiment envie de foutre en l'air votre réveillon ?

Soudain pris d'une subite impulsion, il repoussa violemment Céline pour se diriger à grands pas vers la salle de bains. Interloquée, la jeune fille ne put que regarder la porte se refermer et écouter couler l'eau du robinet, sans oser intervenir ou lui proposer son aide.

Lorsqu'après 5 minutes, à bout de patience, elle prit son courage à deux mains pour aller heurter à la porte, seul un objet lancé avec force lui répondit, ainsi qu'un *Fous-moi la paix!* explicite. Renonçant alors à l'ennuyer d'avantage, elle sortit toutes les guirlandes achetées pour décorer son appartement, et se mit en devoir de donner un air de fête à son logis.

Elle terminait de poser une étoile sur la porte de la salle à manger, lorsqu'Alain reparut, apparemment détendu. Sans un mot, il saisit une bombe à neige pour dessiner des anges sur les fenêtres. 

(...)

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N
<br /> Des fleurs. Ton histoire est super. Je suis prise dedans. Je viens de terminer le troisième chapitre, et j'ai envie de continuer.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Oh... merci pour ces magnifiques glaïeuls <br /> <br /> <br /> <br />