Au Rendez-Vous... : Aimée 1/1

Publié le par Marie A

 

Pas encore lu *Le Tsar* ?

*Au Rendez-Vous des Cartes Gagnantes* première partie

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Chapitre I

 

A près de 45 ans, Sœur Bénédicte paraissait être l’incarnation même de la sérénité et de la plénitude. A chaque instant, y compris lorsque sa fonction l’amenait à faire preuve d’autorité, cette petite femme douce et calme irradiait littéralement de son bonheur à servir le Seigneur. Et si son sourire empli de tendresse, de compréhension et d’indulgence rendait jaloux ceux pour qui cette joie céleste était indécente, la paix intérieure qui illuminait ses yeux noisette coupait court à toute raillerie déplacée.

Oui elle était heureuse, au milieu de cette campagne fribourgeoise si semblable à celle qui l’avait vue naître, petite paysanne vaudoise... Que de chemin parcouru, depuis ces étés passés sur l’alpage à garder les troupeaux de vaches pour quelques sous !!!

Qui aurait pu imaginer alors que son destin l’attendait dans l’ordre des diaconesses protestantes?

 

Cette voie était pourtant celle qu’elle avait empruntée vingt-trois ans plus tôt, apparemment sur un coup de tête.

C’était du moins ce qu’avaient cru son père et sa sœur lorsqu’elle leur avait annoncé son intention de consacrer sa vie au Christ. Elle-même avait été surprise de sa soudaine vocation, elle que le culte du dimanche ennuyait et dont les seuls souvenirs d'instruction religieuse avaient pour objet les sorties à bicyclette et les pique-niques au bord du lac.

Et pourtant, lors d’un sermon ayant pour thème *le retour du fils prodigue*, la voix puissante et le ton théâtral du pasteur Chevallaz l’avaient frappée. Sans comprendre ce qui lui arrivait, les mots avaient touché son cœur, et elle avait ressenti physiquement toute la force, la bonté, la miséricorde de cet Homme venu sur terre pour la sauver.

Longtemps elle avait gardé cette émotion pour elle. Presque en secret, elle avait ouvert sa Bible et commencé à reconnaître la présence du Très Haut dans chaque événement survenu dans son quotidien… à les interpréter comme autant de signes destinés à lui montrer LA route à suivre.

Elle n’avait pas eu besoin de tenter l’expérience d’une sortie dominicale en couple pour acquérir la certitude que son avenir ne résidait pas dans le mariage, que jamais elle ne connaîtrait auprès d’un homme ce sentiment de paix que lui donnait la prière quotidienne.

Le pasteur Chevallaz, à qui elle avait fini par se confier, avait compris la Grâce qui l’avait touchée, et l’avait guidée dans sa voie en la mettant en rapport avec une religieuse de sa connaissance. Spontanément, derrière le visage sévère et le parler énergique de son interlocutrice, Bénédicte avait décelé cette sérénité donnée par une foi inébranlable... la même qu’elle sentait naître en elle lorsqu’elle remerciait le Ciel pour chaque bienfait accordé durant la journée.

Non cela n’avait pas été une vocation, ni une lubie et encore moins un geste de dépit, mais le cours naturel de son existence. Et jamais, pas une seule seconde elle n’avait regretté sa décision, même lorsqu’elle s’était retrouvée au milieu de la savane, à des milliers de kilomètres de chez elle, seule soignante d’un dispensaire fréquenté par des indigènes tout juste civilisés.

Elle n’était qu’un instrument entre les mains du Seigneur, qui l’utilisait pour propager Sa parole et Son enseignement, et elle en était comblée. Jour après jour, elle baignait dans la paix et le bonheur, persuadée que son Créateur prenait soin d’elle, lui assurant l’essentiel tant moral que matériel.

Forte de cette conviction, elle avait accepté sereinement tout ce qui lui était arrivé de bon ou de mauvais, après avoir compris que chaque événement avait une raison d’être, une légitimité qui pouvait se dévoiler des années plus tard. Et c’était ce message qu’elle tentait de transmettre à ses élèves, désormais de riches jeunes filles issues de l’aristocratie et de la bourgeoisie internationales.

Ce parachutage au poste de directrice d'un pensionnat réputé situé au centre du district de la Gruyère, dans un cadre idyllique propice aux promenades et à la méditation, représentait la meilleure preuve du bien-fondé de cette confiance aveugle.

Comment en effet ne pas voir la Bienveillance Divine dans cette mutation survenue au moment où elle s’inquiétait pour l’instruction d’Aimée ?

 

AIMÉE...

 

Existait-il un prénom plus adapté à ce cadeau du ciel ? Qui pouvait ne pas aimer cette adolescente douce et sage élevée depuis toujours par les sœurs du pensionnat ?

Et pourtant, à la lueur d’une froide observation, la jeune fille n’avait rien d’exceptionnel : à 15 ans la puberté avait doté ses 160 cm de formes trop avantageuses pour ne pas la mettre mal à l’aise devant ses camarades moins précoces. Son visage au teint mat, dénué d’acné, présentait certes des traits réguliers, mais le tout n’avait pas de réelle harmonie. Peut-être à cause des lèvres un peu trop charnues pour être pulpeuses, ou du nez trop long que la chipie snobe et délicate qui lui tenait lieu de voisine de lit avait un jour qualifié de *tremplin de saut à ski pour puce sportive*. À moins que cela n’ait été le fait des sourcils noirs et épais qui durcissaient l’intensité des grands yeux foncés bordés de longs cils noirs ?

Non, apparemment elle ne possédait rien pour attirer les regards, ni sur le plan physique, et encore moins intellectuel.

Mais, malgré la conduite soumise, en accord avec l’uniforme terne et gris du pensionnat, l’adolescente débordait d’un bonheur et d’une joie de vivre qui la rendaient merveilleusement attirante. Chaque geste, chaque déplacement, n’était que grâce et légèreté. Et lorsque ses lèvres s’entrouvraient pour sourire à la vie, découvrant des dents saines, blanches et impeccablement alignées, le commun des mortels acquérait la conviction d’avoir été mis en présence d’un ange.

Oui, tout le monde ne pouvait qu’aimer cette petite orpheline arrivée d’Algérie en compagnie de Sœur Bénédicte, alors qu’elle n’avait que trois ans.

Jamais elle n’avait connu autre chose que l’éducation stricte et rigide des diaconesses, et bien que celles-ci l’aient saturée de tendresse et d’amour, elles avaient bridé son caractère volontaire et indépendant en lui inculquant très tôt la notion de péché et d’obéissance, de manière à la préparer le plus naturellement possible à ce qui était sa destinée, c'est-à-dire devenir une des leurs...

La petite avait donc grandi dans un univers féminin, avec pour seule image masculine un homme à tout faire sans âge, jamais remis du traumatisme de la Grande Guerre au cours de laquelle il avait perdu un bras. Mais cette enfance spéciale ne lui avait pas pesé. Tout ce dont un être humain avait besoin pour trouver équilibre, bien-être et bonheur, lui avait été fourni au centuple par tout le personnel du pensionnat. Bien sûr elle avait compris, au travers des récits de ses camarades de chambrée, que son statut n’était pas ordinaire, mais elle s’était toujours satisfaite de l’explication de ses éducatrices, qui la rassuraient en la surnommant *Petit Cadeau du Ciel*.

Du moins jusqu'à ce qu'elle atteigne l'adolescence, que son corps commence à se transformer, et que de nouvelles pensées envahissent son esprit.

Les vacances cessèrent alors d’être une période bénie au cours de laquelle elle partageait totalement le quotidien de religieuses aux petits soins pour leur princesse. Elle se sentit emprisonnée dans le manoir désert, alors que ses camarades avaient la possibilité de visiter des lieux extraordinaires, d’assister à des fêtes fastueuses, ainsi que de fréquenter des personnages fascinants.

Elle savait que son avenir était tracé, et elle n’avait nulle envie de s’y dérober. Néanmoins elle aspirait à connaître d’autres choses, à découvrir d’autre univers, avant de se cacher sous le voile...

... quitte à se retrouver dans le dortoir, morte de peur à l’idée de devoir affronter la colère de Sœur Bénédicte, comme c’était le cas en ce soir de mai 1939.

Ce n’était certes pas la première fois que la directrice avait besoin de la sermonner, la tâche étant rude pour celle qui avait à cœur de surveiller son travail scolaire. Mais jamais encore celle-ci n’avait paru aussi furieuse. Le plus inquiétant pour Aimée résidait dans le fait qu’elle n’avait aucune idée du crime commis pour mériter la menace de renvoi et de damnation éternelle brandie par une religieuse hors d’elle.

Qu’avait-elle donc fait de si répréhensible ? Bien sûr, elle n’aurait peut-être pas dû défaire ses nattes, ni décrocher les deux premiers boutons de son chemisier pour attirer l’attention du jeune manœuvre venu entretenir la toiture de l'internat ! De même qu’elle avait certainement passé un peu trop de temps dans le jardin, juchée sur un tilleul d’où elle savait pouvoir admirer le torse nu du manœuvre… Mais il était si différent de tous les êtres humains qu’elle fréquentait habituellement. Il était si gentil, lorsqu’il la saluait avec un «Bonjour jolie jeune fille » ! Où donc était-il écrit qu’il était interdit de répondre à une amabilité et un beau sourire ? Était-ce pour autant une raison pour lui infliger la première gifle de sa vie, lorsque par malheur Sœur Bénédicte l’avait surprise dans les bras du jeune homme, qui ne cherchait qu’à la préserver d’une chute dans les escaliers après un faux-pas ?

L’attaque avait été fulgurante, et d’une violence inouïe. Telle une furie, la religieuse avait saisi le saint-bernard en herbe par le col de sa chemise, et l’avait envoyé percuter le mur sans aucun égard, tout en proférant des horreurs à l’encontre de sa protégée. Elle, qui habituellement n’était que douceur et compréhension, avait terrifié Aimée en la traitant de «Fille du vice », de « Diablesse », et d’autres insultes de la même trempe. Aussi, lorsqu’un menaçant « Rends-toi immédiatement dans ta chambre, et ne parle à personne jusqu’à ce que je t’y autorise ! » avait retenti, la petite s’était enfuie à toutes jambes, sans s’inquiéter du sort réservé à son camarade.

Elle n’avait donc pu voir, ni entendre, la colère s’évanouir et la voix s’adoucir pour signifier au jeune homme -qui s’attendait au minimum à une condamnation au cachot à vie- la simple interdiction d’approcher à moins de cinq kilomètres du domaine de l’école...

L’adolescente était restée en quarantaine toute la journée. Temps qu’elle avait mis à profit pour tenter de comprendre la réaction de celle qui l’avait élevée. Mais, ne trouvant aucune explication, ni dans ses souvenirs de leçons de morale, ni dans ses trop sages lectures, elle n’avait su comment se racheter autrement qu’en reprenant l’apparence de l’enfant obéissante qu’elle avait toujours été. De ses doigts encore tremblants, elle avait noué les rubans du dimanche à l’extrémité de ses longues nattes châtain, et fouillé dans sa maigre garde-robe à la recherche d’un vêtement assez ample pour camoufler ses formes, qu’elle avait appris à apprécier à travers le regard masculin souvent posé sur elle avec admiration.

Néanmoins, malgré tous ses efforts destinés à se rassurer, Aimée eut besoin de s’appuyer sur le rebord de la fenêtre lorsqu’elle entendit arriver le pas énergique de Sœur Bénédicte.

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C
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Tout d'abord, mes félicitations, c'est presque parfaitement écrit, presque sans faute. Le style aussi est agréable à lire, les phrases sont fluides, assez courtes, mais cependant pas simplistes.<br /> <br /> <br /> Je n'ai que deux petites remarques pour l'améliorer encore davantage : <br /> <br /> <br /> ses yeux<br /> noisettes  : noisette : ça ne s'accorde pas, émeraude, ou toute autre métaphore (enfin je crois que ce sont des métaphores)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> des lèvres un peu trop<br /> charnues pour être pulpeuses : on ne voit pas trop : en quoi y a t il une différence entre charnues et pulpeuses ?<br /> <br /> <br /> au plaisir <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Hello !<br /> <br /> <br /> Oh, merci de la visite, et pour les remarques ! Je vais de ce pas enlever le *S* de noisette...<br /> <br /> <br /> En ce qui concerne le *trop charnues pour être pulpeuses*, c'est vrai que c'est quelque peu confus. En fait, l'idée, c'est une question d'esthétique... en deux mots, pulpeux = magnifique et sexy,<br /> trop charnues = disgracieux... Mais si ça dérange vraiment, je peux changer sans problème, je compte sur toi pour le dire.<br /> <br /> <br /> En attendant, passe une bonne journée.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Bien, on en revient à Aimée. Hâte de connaître la suite !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> A plus !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> J'espère que le début un peu *Bondieuseries* ne te retiendra pas... ça ne va pas durer plus d'une centaine de pages  (non, je rigole)<br /> <br /> <br /> <br />